Assistance médicale en Syrie: « Un devoir d'humanité »
© Diala Ghassan/MSF
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Tankred Stöbe, Président de Médecins Sans Frontières Allemagne, est rentré de la zone frontalière entre la Syrie et l'Irak, où il a dispensé des soins médicaux aux refugiés ayant fui le conflit. Il revient sur l’importance vitale d’apporter l’aide humanitaire à l’intérieur de la Syrie et sur les défis que cela présente.
Lorsque la frontière entre la Syrie et l’Irak s’est rouverte cet été, nous avons traité 860 patients en l'espace de quatre semaines dans une clinique sous tente. Beaucoup de ces patients étaient des enfants, des personnes âgées, des femmes enceintes et des jeunes mères qui venaient d'accoucher. Ils étaient épuisés par le voyage de plusieurs jours qu'ils venaient de faire. Certains avaient des diarrhées graves, d’autres souffraient de maladies chroniques nécessitant une prise en charge immédiate.
« Nous n’en pouvons plus»
Les personnes qui parviennent à passer la frontière sont à bout. Elles ont eu à subir tellement de choses. « Nous n’en pouvons plus ». Je les entends encore. Il est évident que les blessés les plus graves ne parviennent pas à passer la frontière. Une raison supplémentaire pour apporter une aide médicale en Syrie, en plus de l’assistance que nous offrons aux pays frontaliers.
Lorsqu’on travaille dans un centre de santé, les soins médicaux sont évidemment la priorité. J’examinais les patients, j’établissais leur diagnostique et leur fournissais le traitement adéquat. Mais nous discutions aussi ensemble. Souvent, les gens commençaient à me raconter leur histoire et se mettaient à pleurer. Emotionnellement, c’était très fort. Etre-là, écouter et compatir est pour moi aussi important que l’acte médical en soi.
Arrêtés à un barrage routier
Une jeune famille m'a beaucoup touché. Ils avaient déjà déménagé six fois en Syrie depuis le début de la guerre civile. Les gens font tout pour rester dans leur pays et y trouver un endroit sûr. C'est seulement lorsqu'ils n'ont réellement plus le choix qu'ils décident de fuir. Cette famille avait été arrêtée à un barrage routier, puis libérée deux jours plus tard. Ils se sont ensuite réfugiés de manière illégale en Turquie, puis sont partis à l'est, et à nouveau en Syrie, pour finalement passer la frontière irakienne. Leurs deux fils, âgés de un et cinq ans, souffraient de fièvres et de diarrhées grave. Après leur avoir donné les soins nécessaires, je les ai accompagnés à l'enregistrement des réfugiés parce que je craignais qu'ils n'en aient tout simplement plus la force. Pour moi, l'histoire de cette famille résume toute la misère qui frappe la Syrie.
Peur pour sa vie
Ce n’est pas la première fois que je travaille en Syrie. L’année dernière j’étais dans le Nord du pays sur un des projets les plus instables auquel je n’ai jamais participé. Nous travaillions sur la ligne de front dans une région montagneuse qui était régulièrement la cible de tirs de chars. Chaque bombardement mettait nos vies en danger. Un soir, un groupe de médecins syriens nous a rendu visite et nous avons longuement discuté d’une future collaboration. A 22h00 ce soir-là, des grenades explosaient à 50 mètres de notre maison. Chacun avait peur pour sa vie : nous savions tous que les structures médicales sont des cibles privilégiés en Syrie.
Il est primordial de pouvoir travailler directement en Syrie parce qu’il y a de moins en moins de médecins et que les cliniques qui peuvent encore traiter les blessés se font rares. Venir en aide aux personnes qui en ont désespérément besoin est un acte d’humanité et d’éthique médical. Nous devons trouver des façons de travailler dans des contextes aussi incertains, dans lesquels chaque jour présente de nouveaux défis. Depuis un an nous arrivons à le faire, nous dirigeons six hôpitaux, deux centres de santé et plusieurs cliniques mobiles.
“ Notre assistance est nécessaire et elle est demandée ”
Lorsqu’on travaille en Syrie, il n’existe aucune garantie de sécurité absolue. Les mesures que nous suivons sont les meilleures possibles : négociation directe avec les diverses parties du conflit, discussion continue avec la population locale, mise en œuvre d’actions concrètes et surtout : être certain que notre assistance est nécessaire et qu’elle est demandée.
Ce qui rend la situation difficile en Syrie, c’est le fait que les structures médicales soient des cibles privilégiées. Malgré cela, la question n’est pas de savoir si l’on peu ou non travailler en Syrie, mais comment nous pouvons apporter de l’aide à ceux qui en ont le plus besoin.
Sauver une vie
Pour éviter d’être totalement accablé par le niveau de souffrance en Syrie, il faut savoir prendre de la distance. Si je me focalise sur la région, sur l’hôpital puis sur les patients que je peux aider aujourd’hui, alors les choses deviennent moins abstraites et moins brutales, elles deviennent concrètes, humaines. C’est ce qui rend notre travail non seulement supportable mais aussi satisfaisant. Je peux me dire « Oui, j’ai sauvé la vie de cet homme et je peux apaiser ses souffrances ». C’est ce qu’il ne faut jamais oublier.
© Diala Ghassan/MSF