Burkina Faso: les cicatrices invisibles de la violence

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C'était un lundi soir de juillet lorsque des hommes armés sont venus au village de Fondioga dans l'est du Burkina Faso, et ont tué un membre de la communauté. Le lendemain matin, ils sont revenus, tuant un deuxième homme, avant de continuer les tueries dans un village voisin.

« C'est à ce moment-là que nous avons réalisé que si nous restions, ils nous tueraient tous. Nous sommes donc partis avec nos femmes, nos enfants et nos parents », raconte O.K.*, 45 ans, qui s'est enfui avec sa famille vers la ville de Matiacoli, situé à 25 km de leur village. « Nous avons abandonné tout ce que nous avions, nos biens, nos animaux et nous ne savons pas s'ils seront toujours là quand nous rentrerons. Ici, nous n'avons rien du tout. C'est épuisant, nous sommes inquiets en permanence. »

Le Burkina Faso est en proie à la crise humanitaire qui connaît la plus forte croissance au monde. Au cours des deux dernières années, la violence des groupes armés dans le nord et l'est du pays en constante augmentation a forcé plus d'un million de personnes à fuir leur foyer, dont 500 000 d’entre elles en 2020. La plupart vivent dans des conditions précaires, avec un accès limité à l'eau, à la nourriture, à un abri adéquat et à des soins. Elles sont dans la crainte constante de nouvelles attaques. Pendant la saison des pluies, qui se déroule en ce moment, les personnes déplacées et la communauté d'accueil sont confrontées à des défis supplémentaires : une augmentation des cas de paludisme et de malnutrition. 

Un autre problème de santé moins visible, mais à l’impact tout aussi dévastateur

« Les personnes ayant été témoin d'une violente attaque développent souvent un traumatisme. Elles se posent d'abord des questions « pourquoi est-ce que cela m'arrive à moi ? ». Puis elles se sentent coupables parce qu'elles ont survécu ou parce qu'elles n'ont pas pu sauver les autres. Les gens qui ont été obligés de fuir leur maison souffrent encore plus », explique Issaka Dahila, psychologue MSF.

Face à la violence et aux déplacements forcés, les gens réagissent et s'adaptent de différentes manières. Certains développent des mécanismes grâce au soutien de leur famille ou de leur communauté, d'autres tentent de contenir leurs émotions. « Des personnes arrivées des jours, des semaines voir même des mois plus tôt se présentent avec des symptômes persistants tels que l’anxiété, la tristesse, la peur, le déni ou la colère, rajoute Dahila. Nous entendons parfois "Je ne vaux rien ! Ma vie n'a pas de sens." Certaines personnes ont du mal à se projeter dans le futur. Certaines veulent même mettre fin à leurs jours. Cet été, une jeune femme, mère d'un garçon âgé d'un an s’est donné la mort après que des hommes aient attaqué son village et aient tué son mari. » Le suicide est le résultat d'une souffrance psychologique trop grande, la personne ne peut plus la contenir.

Nous entendons parfois "Je ne vaux rien ! Ma vie n'a pas de sens."

Dahila, psychologue MSF

Bien que de tels cas ne soient pas très fréquents, ils sont révélateurs du traumatisme que vivent les personnes touchées par la violence. La prévalence des troubles mentaux augmente dans les situations de conflit : environ 5 % des personnes développent des troubles mentaux graves et de 17 % des troubles légers ou modérés. Pour soulager les souffrances des familles déplacées et des communautés d'accueil, fin 2019, MSF a démarré des activités de santé mentale dans la région Est du Burkina Faso. Depuis le début de l'année, notre équipe a effectué 432 consultations individuelles. Si certains viennent directement chercher de l'aide, beaucoup se présentent après avoir été orientés par d'autres services médicaux, par la communauté ou après une session de groupes de psychoéducation. « Pendant les premières consultations, les personnes parlent de ce qu’ils observent chez eux : problèmes de sommeil, maux de tête, rythme cardiaque plus élevé, ou le fait de sursauter sans raison apparente. En général, les gens savent mieux identifier les problèmes physiques que les problèmes psychologiques et émotionnels », explique Dahila. Selon lui, les enfants ont leur propre façon de réagir à la violence et aux déplacements forcés dont ils ont été victimes. Ils peuvent manifester des signes comme le fait d’uriner pendant leur sommeil à un âge où la propreté était préalablement installée ou de faire des cauchemars. Ils peuvent être dans le déni, ou utiliser des mécanismes de résilience via des jeux pour reproduire l’évènement traumatique.

En général, les gens savent mieux identifier les problèmes physiques que les problèmes psychologiques et émotionnels.

Dahila, psychologue MSF

L'équipe de santé mentale de MSF offre un certain nombre de services pour identifier la détresse psychologique des personnes touchées par les violences, les conflits ou les changements brusques de vie. Ces activités comprennent des sessions individuelles, familiales et de groupe, au cours desquelles les spécialistes en santé mentale se concentrent sur les mécanismes d'adaptation et des outils pour surmonter les périodes difficiles, les traumatismes, qu’elles traversent. Des questions spécifiques telles que la violence sexuelle, les maladies comme le VIH/sida et la malnutrition sont également abordées. Pour les personnes qui ont récemment vécu un événement traumatique, les spécialistes de la santé mentale de MSF proposent ce que l'on appelle les premiers secours psychologiques, une technique conçue pour réduire l'apparition d’éventuels troubles mentaux. 

MSF organise des séances de sensibilisation sur l'importance de la santé mentale. Cependant, tout le monde ne cherche pas à être aidé. La difficulté d'accès aux services psychologiques dans les zones reculées et peu sûres est l'un des problèmes majeurs, mais la stigmatisation qui est encore souvent associée aux problèmes de santé mentale au Burkina Faso constitue un autre défi.

*Le nom a été changé pour des raisons de sécurité.

Médecins Sans Frontières travaille au Burkina Faso depuis 1995. À l'heure actuelle, nos équipes fournissent une assistance médicale et humanitaire aux personnes déplacées et aux communautés d'accueil dans les régions de l'Est, du Sahel, du Nord et du Centre-Nord : des soins de santé primaires et secondaires aux campagnes de vaccination, en passant par des activités d’approvisionnement en eau, l'hygiène et l'assainissement. MSF répond également aux urgences.

Dans l'est du Burkina Faso, MSF propose des services de santé pédiatrique et maternelle dans deux hôpitaux de district et six postes de santé à Fada et Gayeri depuis 2019. Nous fournissons également des soins de santé mentale, menons des campagnes de vaccination de masse et avons développé un réseau d'agents de santé communautaire formés pour traiter les maladies courantes, détecter et orienter les patients nécessitant une prise en charge avancée.