Un cimetière aux portes de l’Europe: une année de sauvetages à bord du Geo Barents
© Anna Pantelia/MSF
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Au cours de sa première année d’opérations en Méditerranée centrale, le Geo Barents - le navire de MSF - a sauvé 3138 personnes et 6536 consultations médicales ont été effectuées à son bord, avant que les personnes secourues ne soient conduites dans un lieu sûr en Europe.
Le dernier sauvetage en date, au cours duquel au moins 30 personnes ont disparu et 71 autres ont été secourues, dont un bébé de quatre mois, rappelle la triste réalité à la frontière sud de l'Europe : la normalisation des politiques de dissuasion, ainsi que le démantèlement du système de Search and Rescue (ou SAR, Recherche et Sauvetage), au profit des retours forcés, continuent de générer des souffrances terribles et de nombreuses pertes humaines.
8 500 décès
Entre 2017 et 2021, au moins 8 500 personnes sont mortes ou portées disparues et 95 000 personnes ont été renvoyées de force en Libye, dont 32 425 pour la seule année 2021 - soit le plus grand nombre de retours forcés signalés à ce jour. En Libye, les personnes secourues sont confrontées à des situations terrifiantes, comme l'extorsion ou la torture, avec, trop souvent, une issue fatale. « Les États européens qui ne fournissent pas de capacités SAR proactives adéquates et qui appuient les capacités des garde-côtes libyens soutiennent indéniablement les retours forcés vers la Libye, où la détention et les abus sont la norme. La présence de MSF en Méditerranée centrale est le résultat direct du désengagement progressif et honteux des capacités navales de Search and Rescue des États européens en Méditerranée », déclare Juan Matias Gil, représentant SAR de MSF.
Les réfugiés, demandeurs d'asile et autres migrants en Libye vivent un véritable calvaire, que ce soit avant leur tentative de traversée ou après leur retour forcé. MSF a documenté l'impact brutal de la violence infligée à des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants piégés, et relate des récits déchirants dans un rapport qui se base sur les témoignages des personnes secourues.
Violence en détention
« Les policiers, les garde-côtes, l'armée ne se soucient pas de nous. [...] Ils me battent beaucoup, tous nous battent. Jusqu'à ce qu’on s'évanouisse. Jusqu'à ce qu’on s'effondre. [...] Il y a tellement de punitions sévères dans ce pays [...] Pourquoi l'Union européenne soutient-elle ces gens ? [...] Si le Nigeria était sûr, je ne serais pas dans ce pays. [...] Alors quand je me préparais pour cette troisième fois, j'ai dit 'Dieu, je préfère mourir dans la mer plutôt que d'être renvoyé dans les centres de détention libyens'. J'ai pleuré, j'ai pleuré et j’ai embarqué ». [Extrait du témoignage d’un homme de 25 ans originaire du Nigeria].
Selon les témoignages des rescapés recueillis à bord, 84 % des 620 événements violents recensés se sont produits en Libye. Beaucoup de ces violences se produisent après l’interception par les garde-côtes libyens et pendant l’enfermement consécutif dans des centres de détention. Selon les témoignages, les auteurs de ces actes sont les gardes dans les centres de détention (34 %), les garde-côtes libyens (15 %), la police non étatique ou militaire (11 %), et les contrebandiers/trafiquants (10 %). Nos équipes ont également constaté des niveaux importants de violence à l'égard des femmes et des enfants - 29 % d'entre eux sont mineurs, le plus jeune ayant 8 ans, et 18 % des victimes sont des femmes.
On voit chez les rescapés des traumatismes contondants, des brûlures, des fractures, des traumatismes crâniens, des blessures liées aux violences sexuelles, des troubles de la santé mentale. Les violences sont aussi à l'origine de handicaps physiques à long terme, de grossesses, de malnutrition et de douleurs chroniques.
Blocages en mer
Depuis le début des opérations SAR du Geo Barents en juin 2021, les blocages en mer se poursuivent, ce qui prolonge l’angoisse des rescapés. Les demandes de MSF visant à obtenir un lieu sûr pour débarquer les survivants ont été systématiquement ignorées ou refusées par les autorités maltaises, tandis que celles adressées aux autorités italiennes ont été accueillies avec un retard toujours plus important.
Changer cette politique migratoire mortifère est non seulement nécessaire mais aussi possible. L'Europe a démontré dans le contexte de la crise en Ukraine qu'elle pouvait mettre en œuvre une approche humaine de la migration forcée. La protection de la vie de chacun doit s'appliquer indépendamment du pays d'origine, des convictions politiques ou religieuses, et un traitement égal - dans le respect de leurs droits et de leur dignité - doit être accordé à ceux qui cherchent la sécurité aux portes de l'Europe.
Pour plus d'informations, consultez notre rapport complet en anglais.
© Anna Pantelia/MSF