Irak: les Yézidis, d’une crise à l’autre

Camp de déplacés dans la région du Sinjar.

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La pandémie de Covid-19 a un impact majeur sur la communauté yézidie dans le district du Sinjar, dans le nord-ouest de l'Irak. Bien qu'il n'y ait pas beaucoup de cas enregistrés dans la région, les mesures restrictives adoptées en Irak pour freiner la propagation du virus pèsent sur la vie quotidienne et le bien-être d'une communauté déjà vulnérable.

 En 2014, le groupe Etat islamique (IS) a balayé la région du Sinjar en menant contre les Yézidis, –une minorité religieuse vivant principalement dans le nord-ouest de l'Irak–, ce qu’eux-mêmes appellent une campagne « génocidaire ». Les militants de l'IS ont massacré des milliers d'hommes et enlevé environ 6 000 femmes et enfants, pour les revendre comme esclaves ou les forcer à l'esclavage sexuel. Plus de six ans plus tard, de nombreuses familles souffrent toujours de séquelles, tant mentales que physiques.

Certains sont toujours à la recherche d'êtres chers disparus ou pleurent ceux qui sont décédés. Beaucoup se battent pour retrouver leurs moyens de subsistance.

Les restrictions de mouvement intensifient la pauvreté et la violence

La propagation du Covid-19 a entraîné des restrictions de mouvement entre les villes à travers l'Irak. A Sinjar, ces restrictions ont eu un impact considérable sur la situation économique et la vie quotidienne des populations locales et, par conséquent, sur leur bien-être mental. La plupart des habitants de Sinjar vivaient déjà bien en-dessous du seuil de pauvreté, victimes d’un chômage généralisé. Avec l'arrivée du Covid-19, ceux qui avaient un emploi sont obligés de rester chez eux, incapables de subvenir aux besoins de leur famille.

Aeed Nasir travaille avec MSF à l'hôpital général de Sinuni en tant qu'infirmier superviseur depuis 2018. Aeed est marié et père de quatre enfants. Habituellement, il vit dans le camp de déplacés de Chamshko, dans le gouvernorat de Dohuk. En raison des restrictions de mouvement actuelles, Aeed n'a pas vu sa famille depuis cinq mois car il ne peut pas retourner à Dohuk.

Interrogé sur la situation à Sinjar, Aeed explique que « la majorité des gens dans la région sont soit des fermiers, soit des journaliers qui travaillent en dehors de la ville. Le nouveau coronavirus a mis fin à toutes les activités et les gens ne peuvent plus quitter la ville pour travailler. Les récoltes sont loin de rapporter l’argent nécessaire pour les agriculteurs et les commerçants des autres gouvernorats ne peuvent pas venir acheter les produits et commercer librement. Les récoltes et les légumes finissent donc par pourrir. Avant l'apparition du coronavirus, les gens avaient très peu de revenus. Maintenant, il n'y en a plus. »

Pour de nombreuses personnes ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, ainsi que l'incertitude quant à l'avenir et l'impossibilité de rendre visite à leurs proches ont provoqué des sentiments de frustration et de stress. Cela a des conséquences particulièrement néfastes pour les personnes qui tentent déjà de surmonter les expériences traumatisantes du passé. 

« Nous avons constaté une augmentation de la violence domestique: les hommes sont assis à la maison sans travail et passent beaucoup plus de temps avec la famille qu'ils n'en ont l'habitude. Après l'assouplissement des couvre-feux, nous avons reçu de nombreuses femmes qui nous ont raconté que leur conjoint était devenu agressif envers elles et leurs enfants, explique Phoebe Yonkeu, responsable des activités de santé mentale de MSF à Sinuni. Nous avons également observé une augmentation du nombre de personnes souffrant de dépression et nous pensons que le confinement a joué un grand rôle dans ce phénomène. Au cours des derniers mois, nous avons reçu de nombreux patients avec des pensées suicidaires ou qui ont tenté de passer à l’acte. » 

Un accès aux soins encore plus compliqué

Avec les restrictions de mouvement imposées, l'accès aux soins est un autre grand défi auquel les habitants de Sinjar sont confrontés. Shanna Morris, médecin MSF à Sinuni, explique : « Avant les couvre-feux, les personnes qui avaient besoin de soins médicaux spécialisés étaient envoyées dans les hôpitaux du gouvernorat de Duhok, au Kurdistan irakien. Aujourd'hui, les gens ne peuvent plus se rendre à Dohuk et le seul lieu envisageable est Mossoul. Afin d’être autorisés à franchir les points de contrôle pour se rendre à Mossoul, ils doivent se déplacer en ambulance. En moyenne, il faut quatre heures avant qu'un patient n'atteigne les hôpitaux de Mossoul. De nombreux Yézidis hésitent à se rendre dans cette ville, soit en raison des événements de 2014, soit parce que beaucoup d'entre eux ne parlent pas arabe et qu'il leur est difficile de communiquer. »

Pour de nombreux habitants des villages de Sinjar, l'hôpital général de Sinuni – où MSF fournit des services d'urgence et de maternité – est la seule option pour obtenir des soins. Mais les femmes sont moins nombreuses à venir car elles ne sont pas autorisées à passer les points de contrôle pour se rendre à l'hôpital. « La fréquentation de nos services ambulatoires a fortement diminué. Les femmes ne viennent pas pour les soins anténatales ou postnatales et le planning familial parce qu'elles ne peuvent pas passer les points de contrôle. Ce n’est pas considéré comme une urgence. Après un récent assouplissement des restrictions de mouvement, nous avons reçu davantage de femmes ayant des grossesses non désirées qui nous ont dit qu'elles étaient à court de contraception et de médicaments », déclare Adelaide Debrah, sage-femme pour MSF à Sinuni.

Une communauté privée d'espoir  Un reportage photographique sur les Yézidis en Irak

 

La peur de l'instabilité 

En plus du Covid-19, les récentes frappes aériennes dans la région et les campagnes militaires en cours contre les groupes affiliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) provoquent un stress supplémentaire : les gens craignent que la région redevienne une zone de guerre. « Le jour où les avions ont bombardé la montagne de Sinjar, j'étais à Sinuni. La première bombe m'a terrifié. Je ne savais pas ce qui se passait. La première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est que l'IS était de retour, raconte Aeed. Après quelques appels téléphoniques, j'ai appris qu'il s'agissait de bombardements turcs sur des groupes affiliés au PKK. La maison dans laquelle j'habite est très proche d'une de leurs bases et, par peur que la base ne soit bombardée, j'ai quitté la maison. Je me suis promené dans Sinuni et j'ai entendu des femmes et des enfants crier. Les gens emmenaient leurs enfants pour s'éloigner le plus loin possible des bases. Maintenant, les gens ont complètement arrêté d’aller dans la montagne, par peur d'être pris pour cibles par les avions. »

Alors que le Covid-19 continue de faire des ravages, de nombreuses personnes ont perdu le peu d'espoir qu'il leur restait. « Les Yézidis n'ont toujours pas oublié ce qui leur est arrivé en 2014, poursuit Aeed. Les conséquences du massacre hantent toujours la région. Des fosses communes continuent encore d’être découvertes. Je vois le désespoir sur les visages. Certains n'ont même pas assez d'argent pour acheter de la nourriture. Il arrive souvent que nous,  le personnel de l'hôpital, recueillions nous-mêmes des dons pour certains patients. Il n'y a rien à Sinjar et même l'eau est parfois non potable. Comment pensez-vous que les gens puissent se sentir quand ils n'ont rien ? »

MSF à Sinuni

MSF a commencé à soutenir l'hôpital général de Sinuni en fournissant des soins d'urgence et de maternité en août 2018, et a rapidement réalisé que la santé mentale était un énorme besoin non satisfait dans la région. Depuis lors, l'équipe a multiplié les activités en santé mentale pour soutenir les services psychiatriques et psychologiques de l'hôpital général de Sinuni. Elle offre aussi des sessions de groupe et des activités en santé mentale pour les personnes déplacées dans la montagne du Sinjar.

Au service de plus de 90 000 personnes, le projet de MSF à Sinuni fournit des services de santé à toutes les communautés de la région. En 2019, MSF a traité 14 581 patients dans son service des urgences de l'hôpital général de Sinuni. L'équipe a également assisté 755 accouchements, assuré 8 702 consultations de santé sexuelle et reproductive et 1 434 consultations de santé mentale.