Madagascar: lutter pour survivre face à une triple menace
© MSF/Kathryn Dalziel
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Les équipes de Médecin Sans Frontières (MSF) sont témoins de taux alarmants de malnutrition dans les districts du Sud-Est de Madagascar, où les familles font face à une triple crise : insécurité alimentaire, paludisme et évènements météorologiques extrêmes.
Entre les mois de janvier et février, plus de 1 200 enfants âgées de moins de cinq ans en état de malnutrition aigüe sévère ont été admises dans un centre de traitement soutenu par MSF. Parmi elles et eux, plus de 75 % avaient été testées positives au paludisme. Le cyclone Freddy, qui a frappé le pays le 21 février 2023, est le dernier d’une longue liste de cyclones qui ont aggravé les problèmes de santé auxquels font déjà face de nombreuses communautés vulnérables à Madagascar. Freddy a coûté la vie à 17 personnes, et pourrait bientôt être officiellement déclaré comme le plus long cyclone tropical jamais enregistré.
Un climat extrême
« La vie ici est devenue vraiment dure », confie Joella, une femme de 19 ans. Enceinte, elle bénéficie de soins prénataux dans une clinique MSF à Ambodirian’i, dans le sud-est du pays. « Tant de choses ont été réduites en poussière [par les récents cyclones], il y a aussi eu beaucoup de maladies. L’hôpital a été détruit. »
Joella, comme beaucoup d’autres personnes ayant reçu des soins MSF, a décrit les conséquences dévastatrices que les phénomènes climatiques extrêmes ont eu sur leur capacité à cultiver et récolter le riz. A Madagascar, le riz est la principale culture vivrière. Il est vital pour la sécurité économique de la population, car il représente à lui seul 41 % des revenus des ménages à travers le pays.
Une autre jeune mère, Genevia, explique comment les cyclones ont complètement détruit ses cultures rizicoles : « Notre plantation a été inondée, elle était pleine de sable. Le niveau de l’eau montait chaque jour. » Elle s’est rendue dans une clinique soutenue par MSF pour que ses jumeaux puissent être pris en charge contre la malnutrition.
En 2022, 80 % des récoltes dans le sud-est du pays avaient déjà été ravagées par les cyclones. Selon les évaluations préliminaires du gouvernement et de différentes organisations humanitaires, le cyclone Freddy aurait laissées 148 000 personnes nécessitant une assistance humanitaire.
Nombreuses sont celles qui, lorsqu’elles accèdent au centre MSF pour femmes enceintes et mères allaitantes, parlent du travail épuisant qu’est la culture et la récolte du riz, et de combien il est difficile d’accepter que tout ce travail soit réduit à néant dès qu’un cyclone ou des fortes pluies s’abattent. « Je crains de ne plus avoir la force nécessaire », confie Genevia, inquiète à l’idée que le manque de nourriture impacte sa capacité à travailler des longues heures dans les rizicultures familiales.
En plus des récoltes détruites, les vents et pluies extrêmes ont d’autres conséquences pour la santé. Ils empêchent l’accès aux soins quand les routes et les ponts sont endommagés. A l’échelle globale, Madagascar possède l’un des réseaux routiers les moins développés. Beaucoup de personnes se présentant dans les cliniques MSF ont dû faire emprunter des routes longues et dangereuses, ainsi que des itinéraires inondés. Pour certaines, ce périlleux voyage les a tout bonnement convaincues de ne plus venir chercher des soins de santé. En réponse, MSF a déployé des cliniques mobiles en utilisant bateaux, voitures et motos afin de permettre que les communautés les plus isolées puissent bénéficier d’une prise en charge médicale.
Insécurité alimentaire
La succession de cyclones ravageant les récoltes a pour conséquence l’épuisement des stocks de nourriture. La veille de l’arrivée de Freddy, les équipes MSF avaient vu des gens au sein des communautés rurales chercher désespérément de la nourriture dans les forêts afin de pouvoir nourrir leurs familles avant de se mettre à l’abri du cyclone.
Dans le district d’Ikongo, le nombre de parents qui ont amené leurs enfants malnutries à la clinique de la ville d’Ifaneria, soutenue par MSF, a augmenté.
« Les gens savent que MSF est là pour prendre en charge les enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition, explique Olga, infirmière MSF. Ils sont très motivés à amener leurs enfants ici. » Parmi les près de 2 200 enfants dépistés à Ikongo dans les deux premières semaines d’avril, 5 % souffraient de malnutrition aiguë sévère.
A Nosy Varika, une des régions côtières les plus durement frappées par Freddy, MSF aux côtés des autorités locales, a renforcé les activités de dépistage de malnutrition pour faire face à l’insécurité alimentaire grandissante. Entre février et mars, les admissions d’enfants âgés de moins de cinq ans en était de malnutrition aiguë sévère ont plus que doublé.
A la suite du cyclone, MSF a augmenté le nombre d’enfants dépistées ainsi que le nombre de consultations. Les équipes MSF renforcent leur soutien en fournissant une couverture médicale dans de nouveaux endroits, encore plus reculés et difficiles d’accès.
Paludisme
La saison des cyclones et la période de soudure (le moment entre deux récoltes où les réserves de nourriture sont au plus bas) coïncident également avec la saison du paludisme, qui est est un problème de santé majeur à Madagascar, et l’une des cinq principales causes de décès au sein de la population malgache.
« Les épidémies de paludisme ne sont plus les mêmes qu’auparavant », raconte Masy, une personne âgée assise dans la salle d’attente d’une des cliniques soutenues par MSF à Sahavato. Cette ville se trouve dans le district de Nosy Varika. « De nos jours, le paludisme est vraiment violent. Il ne touchait que les enfants… aujourd’hui, il touche tout le monde. »
Les cas de paludisme sont plus fréquents dans de nombreuses régions de Madagascar dès qu’il y a des inondations ou de l’eau stagnante. Au plus haut de la saison de paludisme, les équipes MSF dans les districts du sud-est mènent des activités de dépistages et de suivi. La majorité des enfants que MSF traite pour des cas de malnutrition aigüe sont également positives au paludisme. Dans certains villages, ce taux atteint même 90 %.
Les prévisions scientifiques pour l’avenir sont alarmantes. Les fortes pluies et inondations vont devenir de plus en plus fréquentes, tandis que le nombre de cyclone de catégories quatre et cinq va augmenter. Cela signifie une plus grande vulnérabilité pour beaucoup, en particulier pour la population rurale (80 % de la population totale) ou pour les 80 % vivant sous le seuil de pauvreté, comme à Nosy Varika. « Ici, un quart des enfants souffrent de malnutrition aiguë et risquent la mort, explique Brian Willett, chef de mission MSF à Madagascar. A moins que des actions politiques et collectives concrètes ne soient mises en place, cette crise humanitaire gravissime va perdurer du fait des chocs climatiques répétés et de la pauvreté endémique. »
© MSF/Kathryn Dalziel