Pris·es au piège : les impossibles choix auxquels sont confronté·e·s les réfugié·e·s syrien·ne·s au Liban

Des enfants syriens regardent à travers l’ouverture qui sert de ventilation à une tente.

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Les dizaines de milliers de personnes réfugiées dans des camps de fortune constitués de bâches et de débris à Hermel, Qaa et Arsal, au Liban, font face à une réalité tragique. Leurs abris fragiles n’offrent que très peu de protection face aux éléments, et encore moins face au raz-de-marée de sentiments anti-réfugié·e·s qui traverse actuellement le Liban. Ces personnes, entassées dans des espaces insalubles, sans chauffage et à même la terre, luttent quotidiennement contre la peur des contrôles de sécurité et des tensions locales.

Depuis le mois d’avril, le Liban a renforcé les raids et les mesures sécuritaires à l’encontre des individus non-enregistrés. Conséquence : les patient·e·s Syrien·ne·s recevant des soins dans nos cliniques dans le gouvernorat de Baalbek-Hermel n’osent plus se rendre à leurs rendez-vous à cause de la peur et des restrictions autour de leurs mouvements. Beaucoup sont désormais effrayé·e·s à l’idée de chercher des soins. C’est le cas par exemple de Wael*, qui doit franchir un contrôle de sécurité pour rejoindre la clinique MSF à Hermel. 

Je suis anxieux lorsque j’ai rendez-vous à la clinique MSF. J’ai peur des contrôles. Le jour de mon dernier rendez-vous, il y avait une campagne de sécurité dans la zone, donc je n’y suis pas allé. La peur contribute à augmenter ma glycémie, et je crains de ne pas réussir à la faire redescendre.

Wael

Lors de ces « campagnes de sécurité », des ressortissant·e·s Syrien·ne·s avec des documents expirés sont souvent arrêté·e·s à des points de contrôle et renvoyé·e·s de force en Syrie, en général sans avoir l’opportunité de prévenir leur famille au Liban.

D’autres patient·e·s souffrant de maladies chroniques rationnent leur traitement ou l’ont tout simplement abandonné, par peur de sortir de leur tente.

Amer*, un réfugié syrien de 36 ans, est à cours de médicament contre l’hypertension.

Amer*, un réfugié syrien de 36 ans, est à cours de médicament contre l’hypertension. Tout comme nombre d’autres personnes réfugiées souffrant de maladie non-transmissibles, l’accès au médicament est un véritable parcours du combattant au Liban, à cause notamment de la crise économique mais également des récentes mesures sécuritaires autours des camps. « Je n’ai pas les moyens ni le courage d’aller rechercher des médicaments », confie-t-il. « Je fais des cauchemars dans lesquels les autorités me pourchassent. Je n’ose pas traverser un contrôle de sécurité, par peur de me faire déporter et d’être séparé, peut-être pour toujours, de ma famille. »

© Carmen Yahchouchi/MSF

Depuis plus de dix ans, MSF a fourni des soins de santé gratuits et de qualité : pédiatrie, santé reproductive et sexuelle, traitements pour des maladies non-transmissibles, vaccinations contre les maladies évitables et santé mentale, pour les personnes réfugié·e·s ainsi que pour la population locale. Malgré la disponibilité de cette aide, au travers notamment de deux cliniques MSF à Hermel et Arsal, la peur prend la communauté refugiée à la gorge et les rendez-vous manqués se multiplient.

Je souhaite la mort. Nous vivons constamment dans la terreur et l’anxiété. La mort est devenue plus miséricordieuse que la vie ici.

Umm Khattab*, une réfugiée syrienne vivant depuis des années dans une tente de fortune située proche de la frontière nord-est du Liban.

En repensant à leur passé, les refugié·e·s ont souvent des mots similaires pour décrire le dangereux périple jusqu’au Liban, elles et eux qui ont fui la dévastation en Syrie avec presque rien de plus que des vêtements sur leurs épaules. L’arrivée dans les montagnes libanaises et l’accueil chaleureux de la communauté locale furent d’abord une lueur d’espoir. Depuis, leur sanctuaire s’est assombri au rythme que l’économie libanaise s’effondrait.

Maya*, 21 ans, est veuve d’un mariage d’enfants. Elle a vécu de nombreux traumatismes, en particulier après la mort de ses filles dans un incendie.

Maya*, 21 ans, est veuve d’un mariage d’enfants. Elle a vécu de nombreux traumatismes, en particulier après la mort de ses filles dans un incendie. La fuite hors de Syrie est un souvenir douloureux. « Nous avons atteint le Liban de nuit, sous des bombardements constants. Ma sœur et moi étions dans une voiture avec des personnes blessées, dont mon oncle. Il était couvert de son propre sang, avec des plaies béantes, une jambe amputée et un œil crevé. C’était terrifiant et je ne pourrai jamais effacer ces images de ma mémoire. »

© Carmen Yahchouchi/MSF

La guerre en Syrie, qui a commencé en 2011, a causé une destruction massive et déplacé des millions de personnes dans les pays voisins : Liban, Turquie, Jordanie, Iraq, etc. Pour beaucoup, retourner en Syrie n’est pas une option. Les réfugié·e·s Syrien·ne·s dans le nord-est du Liban font aujourd’hui face à un sentiment anti-réfugié·e·s grandissant, entravant leur accès aux soins de santé et restreignant leurs déplacements. Personne ne devrait avoir à choisir entre sa sécurité et sa santé.

*Tous les prénoms de cet article ont été modifiés. Note : les enfants sur la photo de couverture ne sont pas ceux de Wael.

Maya prend soin et éduque des colombes.

La montée en puissance récente du sentiment anti-refugié·e·s au Liban pèse lourd sur les Syrien·ne·s vivant dans le nord-est du pays. Pour s’occuper, Maya prend soin et éduque des colombes. Elle cherche également des moyens de soigner ses blessures et celles de ses proches, en encourageant par exemple à recevoir des soins communautaires et du soutien en matière de santé mentale.

© Carmen Yahchouchi/MSF