RCA: Cinq raisons de s’intéresser à la fermeture du camp Mpoko

À l’apogée de la crise, 100000 personnes vivaient dans ce camp. Ceux qui ne pouvaient trouver refuge parmi les ruines de vieux avions s’étaient rassemblés dans des entrepôts vides ou tout ce qui pouvait leur servir de toit.

République centrafricaine (RCA)6 min

La crise brutale en République centrafricaine est largement passée inaperçue à l’échelle internationale, sauf peut-être grâce à cette image: une marée de personnes déplacées se blottissant dans des carlingues d’avions abandonnés et rouillés. C’était à l’aéroport international de Mpoko, dans la capitale Bangui.

À l’apogée de la crise, 100000 personnes vivaient dans ce camp. Ceux qui ne pouvaient trouver refuge parmi les ruines de vieux avions s’étaient rassemblés dans des entrepôts vides ou tout ce qui pouvait leur servir de toit.

Trois ans plus tard, les vols internationaux atterrissent à Bangui à côté d’un terrain vide. Les bulldozers ont fait leur travail et la plupart des 20000 personnes qui vivaient encore là sont retournées d’où elles venaient.

Mais cette fermeture reste importante. Voici pourquoi:

Parce que ce n’est pas fini

La fermeture du camp de Mpoko est une bonne nouvelle: c’est un signe de stabilisation en République centrafricaine, un pays où même les personnes les plus âgées n’ont pas le souvenir d’avoir vécu de longues périodes de stabilité. Mais cette fermeture est surtout symbolique. Les personnes déplacées ont nulle part où aller: sécurité précaire, peu ou pas d’infrastructures, maisons détruites et criblées de balles et 150 euros en cash pour permettre à des familles de six personnes de reconstruire leurs vies. En République centrafricaine, une personne sur quatre est toujours déplacée, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.

La fermeture du camp était officiellement une priorité depuis presque trois ans. Par exemple, en septembre 2015, après une année de calme relatif à Bangui, la population du camp était descendue à 6000 personnes et MSF préparait la fermeture de son hôpital et de ses cliniques. Mais, quelques jours avant la réduction des activités de MSF, le conflit s’est une fois de plus embrasé. À nouveau, des milliers de personnes ont fui vers l’aéroport et notre hôpital a été submergé: le nombre de consultations par jour est passé de 250 à 400.

L’optimisme de cette fermeture reste donc relatif car ce que nous raconte l’histoire du camp de Mpoko, c’est que les lendemains sont incertains en République centrafricaine.

Parce que c’était, de manière limitée, l’élément déclencheur

Sordide oui, oublié oui, mais pourtant, le camp de Mpoko a été le point d’entrée pour couvrir la terrible crise humanitaire en République centrafricaine. Les personnes déplacées vivaient le long du tarmac de l’aéroport international du pays. C’était, littéralement, la première chose que vous voyiez en arrivant en RCA. Se déplacer à travers le pays est difficile, même durant les meilleures périodes et ce, à cause du peu de routes praticables ; sans mentionner la dangerosité sur les routes pendant la crise. En conséquence, sans l’icône de Mpoko pour les visites de journalistes et pour leurs lecteurs à travers le monde, la crise en RCA, déjà peu couverte par les médias, aurait été complètement oubliée.

Aujourd’hui, Mpoko est fermé. Le symbole des besoins des Centrafricains disparait, contrairement aux problèmes qui demeurent dans le pays. Et sans ce symbole, pourra-t-on continuer à mobiliser la bonne volonté des donateurs, publics et privés, afin d’aider la moitié de la population en RCA qui est toujours dépendante de l’aide humanitaire pour survivre?

Parce que c’était (en partie) un  problème international

Le 4 décembre 2013, le Conseil de Sécurité des Nations Unies et, quelques heures plus tard, la France, ont émis leur souhait d’agir pour arrêter la violence qui avait déjà dépassé des seuils intolérables depuis le début du conflit en 2012. Un jour plus tard, Bangui, où certains combats avaient déjà lieu, est devenue une zone de guerre complète et les premières personnes ont commencé à fuir vers Mpoko, en recherche de protection de la part de l’ONU et des troupes françaises basées à l’aéroport. Les troupes internationales ont été capitales dans l’histoire récente de la République centrafricaine, pour le meilleur et pour le pire: des accusations (encore non résolues) d’abus sexuels de la part des troupes françaises et de celles de l’ONU en RCA laissent une trace indélébile sur leur réputation.

Cependant, en-dehors de la mobilisation des ressources militaires, la République centrafricaine se situe au bas de la liste des priorités internationales. Malgré les besoins énormes et évidents d’une population en détresse, il y a peu d’offres de soins élémentaires dans un environnement si dangereux. Pendant trois ans, hormis la présence permanente de MSF,  presque aucun service n’était disponible dans le camp et Mpoko, un endroit sordide pour vivre. Mpoko et en conséquence, la République centrafricaine, n’a jamais connu une mobilisation de l’aide internationale telle que dans d’autres camps de réfugiés ou déplacés à travers le monde.

Parce que ce n’était pas (que) du malheur et de la tristesse

Le camp est né dans un contexte de conflit en République centrafricaine qui avait atteint un niveau de violence extrêmement grave, avec des atrocités commises du côté des deux camps. Les équipes MSF, qui ont commencé à procuré une aide médicale à Mpoko dès le lendemain de l’arrivée des premières familles, ont été les témoins d’actes particulièrement horribles tels que des démembrements.
Les conditions de vie au sein du camp étaient difficiles pour les milliers de personnes traumatisées qui y avaient trouvé refuge. Mais comme partout dans le monde, la vie et la mort se côtoyaient. Pendant trois années, les familles ont fait de leur mieux pour maintenir un minimum de dignité et de vie malgré tout ce qu’il se passait; 5807 enfants sont nés dans l’hôpital de campagne de MSF à Mpoko.
De plus, la présence du camp a permis de procurer certains services au-delà des soins prodigués aux personnes déplacées de Mpoko. Au moment de la fermeture du camp, deux tiers des patients de l’hôpital de MSF à Mpoko venaient de l’extérieur du camp; certaines marchaient des heures pour atteindre l’hôpital car ils n’avaient pas accès à d’autres services médicaux fiables et gratuits. Maintenant que l’hôpital ferme, ils devront se fier à une offre maigre des services publics à Bangui. En effet, les problèmes profondément enracinés ne sont pas encore résolus en République centrafricaine.

Parce que grâce à vous, nous avons pu faire de belles choses

Mpoko était un projet particulier pour MSF. Toutes les équipes se rappellent du défi extraordinaire qu’a représenté la construction de l’hôpital de campagne de 60 lits et ce, en quelques jours seulement, dans un endroit où il n’y avait pratiquement rien et dans une période de conflit terriblement brutal. Nos équipes y ont travaillé chaque jour, pendant 1000 jours – personnel international aux côtés de notre personnel local qui ont directement souffert du conflit, ainsi que leurs proches. Certains de nos collègues centrafricains vivaient eux-mêmes dans le camp de déplacés car ils avaient tout perdu. Ensemble, nos équipes ont prodigué plus de 440000 consultations, pratiqué 46000 interventions chirurgicales et hospitalisé 11000 personnes dans la structure temporaire faite de bâches et planches en bois.
Tout cela a été possible grâce aux dons de donateurs privés à travers le monde qui ont soutenu Médecins Sans Frontières.
Au nom de tous ces patients. Merci.
La crise en RCA n’est pas terminée. MSF reste l’un des acteurs principaux dans le pays avec 17 projets médicaux à travers le pays, y compris un programme chirurgical et une maternité à Bangui.