Sage-femme en Syrie: «j’étais aussi celle qui offrait une oreille attentive»
© Nicole Tung
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Cathy Janssens, jeune sage-femme belge, revient d’une mission dans l’un des hôpitaux de MSF en Syrie.
Je suis partie en Syrie pour lancer un projet de santé mère-enfant dans un hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF). À l’époque, il n’y avait pas une seule femme médecin dans cette structure. Je me suis donc retrouvée avec de grandes responsabilités et énormément de travail.
Lorsque je suis arrivée, les activités prévues pour les femmes enceintes venaient d’être lancées et le matériel était en cours d’acheminement. J’ai simplement reçu une pièce, équipée d’un lit de consultation. Rien d’autre. J’ai donc dû «faire avec» les premières semaines. Je me suis empressée de commander un lit d’accouchement mais il a bien sûr fallu quelques semaines pour que le matériel arrive.
Les femmes n’ont pas attendu l’arrivée de ce lit d’accouchement. Elles sont venues pour accoucher avant même qu’il ne soit installé. On ne refuse quand même pas l’accès aux femmes enceintes! Lorsque l’accouchement se déroule normalement, l’absence d’équipement n’est finalement pas un problème. Mais en cas de complications, il est important d’avoir à disposition du matériel médical.
Des poches pour perfusion comme bouillottes
Pendant les premières semaines, je me suis donc débrouillée avec les moyens du bord. En fait, je me suis rapidement adaptée. Le principal problème, c’était l’absence de matériel pour les nouveau-nés. Il faisait très froid dans l’hôpital. Le contact peau-à-peau – le bébé est blotti contre la poitrine de sa mère – reste la meilleure solution pour réchauffer les bébés dont la température est trop basse. Mais cette technique n’est pas utilisée en Syrie, d’où la difficulté de maintenir les nouveau-nés au chaud. J’ai donc eu à nouveau recours au système D: des poches pour perfusion réchauffées au micro-onde ont servi de bouillottes.
Nous nous sommes rapidement rendu compte que nous allions aussi devoir accueillir des femmes qui n’étaient pas enceintes. La nouvelle de l’arrivée d’une femme médecin s’est répandue comme une traînée de poudre et j’ai donc dû faire face à un afflux massif de femmes. Depuis le début du conflit, les femmes ont de plus en plus de difficultés pour se rendre dans un hôpital, et elles n’avaient donc pas d’endroit où se faire soigner. Mais pour elles, j’étais bien plus qu’une sage-femme, j’étais aussi celle qui leur offrait une oreille attentive. Lorsque ces femmes apprenaient qu’elles n’avaient pas de problème de santé, cela les réconfortait, malgré le conflit.
Garantir l’intimité
Lorsque le matériel médical est arrivé, la salle de consultation a été transférée dans une autre zone de l’hôpital. Au début, nous avons travaillé en face de la salle des urgences. Mais l’intimité des femmes n’était alors pas respectée, d’autant que de nombreux hommes arrivaient aux urgences. Une situation que les femmes vivaient mal. Lorsque nous avons pu nous installer au fond de l’hôpital, cette indispensable intimité a pu être garantie. Les conditions d’accueil des femmes ont alors été fondamentalement améliorées et les urgences ont dans le même temps été déchargées.
J’ai ressenti énormément de frustration chaque fois que des enfants arrivaient aux urgences. Des enfants de deux ou trois ans meurent dans de terribles souffrances ou présentent de graves blessures dont ils garderont les séquelles jusqu’à la fin de leur vie. Les enfants sont des victimes innocentes – c’est vraiment ce qui est le plus difficile à accepter. D’autant que la fin du conflit n’est pas pour demain…
Dans une salle réservée aux femmes, comme celle où j’ai travaillé, toute pudeur disparaît et nous sommes très proches des patientes. J’ai ainsi examiné des femmes qui portaient la burqa à leur arrivée. Mais une fois dans la salle de consultation, elles se dévêtissent et se montrent très ouvertes. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je tiens à repartir en mission en Syrie: le contact avec les patientes est excellent !
Friandises et embrassades
Il n’empêche que j’ai travaillé dur. Les femmes accouchent le plus souvent la nuit et les jours et les nuits de travail se succèdent. Pendant la journée, j’assurais les consultations mais j’étais sans cesse appelée à l’hôpital pour les accouchements. Deux bénévoles étaient à mes côtés pour m’aider, mais elles n’avaient pas de formation médicale. Et encore moins en obstétrique. Elles avaient encore tout à apprendre et je ne pouvais donc pas les laisser seules; je devais aussi être présente à chaque consultation. Consultation que je devais abandonner lorsqu’on m’appelait car une femme était en travail.
Un travail très intensif donc et très fatigant, mais lorsque tout roule, on garde l’énergie nécessaire. Les femmes nous sont incroyablement reconnaissantes. Elles vous couvrent de douceurs, vous étreignent, vous embrassent.
© Nicole Tung