La santé maternelle et infantile, urgence oubliée en République centrafricaine

Infirmière patiente maternité Bangui.  République centrafricaine, Octobre 2022.

République centrafricaine (RCA)7 min

En République Centrafricaine (RCA), des décennies d’instabilité et de violence armée ont contribué à un accès aux soins parmi les plus critiques au monde pour les femmes enceintes et les nouveau-nés. Largement éclipsée des médias par les questions sécuritaires dans le pays, cette urgence quotidienne est l’une des priorités d’action des équipes MSF.

Cela fait des heures que Divine se tord de douleur, la main droite cramponnée aux barreaux de son lit, l’autre à son peigne orange et vert. Son bébé se fait attendre et Divine s’épuise. Dans la salle de travail de l’hôpital communautaire de Bangui, l’infirmière vient de lui administrer de l’ocytocine, une hormone permettant d’accélérer la fréquence et l’intensité de ces contractions.

Dans cette unité dédiée aux accouchements à risque, les femmes sont suivies de près par les équipes médicales qui vérifient leur état de santé et le rythme cardiaque du bébé toutes les 30 minutes. Si le travail est trop long, elles peuvent être emmenées au bloc opératoire pour une césarienne.

Mais un tel suivi est loin d’être accessible à toutes les femmes centrafricaines. Dans un pays où les structures sanitaires et le personnel médical manquent cruellement, peu de femmes enceintes accèdent à des soins obstétricaux adaptés.

« Beaucoup de femmes ne peuvent pas aller à un centre de santé pour leur accouchement et le font à domicile, explique Adèle Guerde-Seweïen, sage-femme MSF à l’hôpital communautaire de Bangui (CHUC). Les complications peuvent donc facilement mener au décès de la mère ou l’enfant. »

Une situation extrême

Un cri, plus fort que les autres, retentit soudain dans l’hôpital. Une femme vient d’apprendre le décès de sa sœur, emmenée en urgence à l’hôpital il y a quelques minutes et directement prise en charge au bloc opératoire. Les équipes médicales ont tout fait pour la stabiliser mais n’ont réussi à sauver que son bébé.

« Ce drame ne serait pas arrivé si elle avait eu accès à des soins médicaux en temps requis », se désole Adèle Guerde-Seweïen.

La santé maternelle et néonatale est une urgence sanitaire majeure en RCA. Le pays connaît des taux de mortalité maternelle et infantile parmi les plus extrêmes au monde. Selon les dernières statistiques disponibles[1], les femmes centrafricaines ont :

  • 138 fois plus de risques de mourir de leur grossesse ou de leur accouchement que celles vivant au sein de l’Union européenne.
  • Un bébé né en RCA court, quant à lui, 25 fois plus de risques de décéder avant son premier anniversaire qu’en Europe.

15 gynécologues pour 6 millions d’habitants

« En RCA, venir au monde ou donner la vie, c’est prendre un risque, résume le Professeur Norbert Richard Ngbale, gynécologue-obstétricien au sein du service de maternité et néonatologie du CHUC. On ne compte qu’une quinzaine de gynécologues dans le pays pour une population de six millions d’habitants. Il y a un manque massif de personnel qualifié, surtout dans les zones rurales où les accoucheuses traditionnelles ne sont pas formées à détecter les complications. »

La majorité des décès maternels sont liés à avortements non-médicalisés, mais également à des grossesses trop précoces et aux accouchements à domicile. La plupart pourraient être évités si des services obstétriques et de planification familiale complets étaient disponibles. Mais cette urgence médicale chronique s’explique aussi par l’extrême pauvreté : si les soins maternels et infantiles sont officiellement gratuits dans le pays, l’application de cette gratuité n’est pas toujours possible ou respectée.

« Dans un pays où 70 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, chaque décision doit être soupesée en fonction des capacités financières, quitte à mettre sa santé en péril, explique René Colgo, chef de mission de MSF en RCA. Pour les patientes, l’hôpital représente une dépense. Elles n’ont pas d’argent pour payer le suivi de grossesse, les transports, et encore moins l’accouchement. Beaucoup pensent qu’il vaut mieux arriver à la dernière minute. Soutenir la gratuité des soins est donc vital. »

« Cette fois, j’ai voulu éviter tout risque »

Mère de huit enfants, Carine Dembali a fait face à des complications lors de septième accouchement. Cette fois-ci, elle n’a pas voulu courir le risque d’arriver trop tard à l’hôpital.

« A l’exception de mon premier, j’ai toujours accouché à la maison, faute d’argent explique-t-elle. La dernière fois, mon bébé est sorti, mais pas le placenta. Ma famille m’a emmenée en urgence à Castor [l’ancienne maternité de MSF], où je n’ai rien dû payer. Cette fois-ci, j’ai voulu éviter tout risque. Je suis allée à l’hôpital proche de chez moi avant l’accouchement. Ils ont vu que le cordon menaçait de priver de sang mon enfant et j’ai été emmenée ici pour une césarienne. »

Totalement réhabilités par MSF jusqu’à leur ouverture en juillet 2022, les services de maternité et de néonatologie du CHUC assurent la prise en charge gratuite des complications obstétricales et des nouveau-nés en situation critique. De la mi-juillet à la mi-décembre, les équipes de MSF et du ministère de la Santé ont fourni des soins à 3 084 femmes enceintes, et 860 bébés ont été admis dans le service de néonatologie, dont 239 nés prématurément.

Rares sont les hôpitaux offrant de tels services dans le pays, notamment des soins intensifs pour les enfants prématurés ou souffrant de problèmes respiratoires et autres complications.

Archange, né à 28 semaines (7 mois), s’est battu pour sa vie pendant 45 jours au service des soins intensifs du CHUC. L’équipe médicale a été tellement impressionnée par sa combativité qu’elle l’a surnommé le « petit général ».  « Il ne pesait que 800 grammes à la naissance, explique sa maman Stéphanie. Sa sœur jumelle est malheureusement décédée au bout de deux semaines, et je pensais que j’allais le perdre aussi. »

A sa sortie des soins intensifs, Archange a été placé avec sa mère en soins kangourous par l’équipe de la maternité. Cette méthode où mère et enfant sont placés contact peau à peau, 24h sur 24h, permet au bébé de conserver l’équilibre thermique et affectif et se révèle extrêmement efficace pour augmenter les chances de survie du nouveau-né.  

« Quand nous avons commencé cette technique, j’étais stressée, et je n’étais pas convaincue, explique Stéphanie. Mais j’ai rapidement vu qu’il allait de mieux en mieux. Alors j’ai continué. Aujourd’hui il pèse 1,5 kilos. Je vais pouvoir rentrer à la maison avec lui. »

Une priorité pour les équipes MSF

La situation critique de la RCA en matière de soins maternels et infantiles a poussé MSF à faire du renforcement de ces services une priorité à travers le pays. En capitale et sur ses projets dans l’arrière-pays, MSF soutient la fourniture gratuite de soins obstétricaux d’urgence pour les femmes et nouveau-nés. Nos équipes appuient également le ministère de la Santé dans la formation du personnel et par un investissement dans l’aménagement et l’équipement de structures médicales. En 2021, nos équipes ont aidé près 19 600 femmes à accoucher en RCA, dont 1 020 par césarienne, et 1 900 nouveau-nés ont été pris en charge dans les unités de néonatologie que nous appuyons dans le pays

Mais un soutien accru s’impose pour améliorer la santé maternelle et infantile en RCA. « La situation appelle à un investissement ambitieux de tous les partenaires internationaux pour renforcer l’accès aux services de santé de la reproduction explique René Colgo. Il n’est pas acceptable que tant de femmes et d’enfants perdent chaque jour la vie pour des raisons si facilement évitables. »


[1] Banque mondiale, statistiques sur la mortalité maternelle et infantile, disponibles sur https://donnees.banquemondiale.org