Travailleuses migrantes au Liban : soins de santé sous le système de la Kafala
Liban6 min
En 2020, Médecins Sans Frontières (MSF) a ouvert une clinique à Beyrouth afin de répondre aux besoins accrus des travailleur·euse·s migrant·e·s au Liban, fournissant des consultations médicales gratuites et un soutien spécialisé en santé mentale. Trois ans plus tard, les équipes de MSF continue d’observer l’impact du système de la Kafala sur les conditions de vie et travail, créant des besoins médicaux et de santé mentale.
Il a fallu un an à Berna [prénom fictif] pour s’échapper de son employeur. Pendant ce temps, elle a travaillé dans une maison où elle était surmenée, isolée, battue, maltraitée et à moitié affamée. Avec l'aide d'un voisin, elle a réussi à s'enfuir de la maison, laissant derrière elle son passeport et ses affaires. Elle a sollicité MSF pour un traitement médical, et a fini par également recevoir un soutien en santé mentale.
Selon les dernières estimations, le Liban compte environ 135 000 travailleur·euse·s migrant·e·s, la plupart originaires d'Éthiopie, du Bangladesh, de Sierra Leone, du Sri Lanka et des Philippines. La majorité d'entre elles sont des femmes employées dans des maisons privées en tant que travailleuses domestiques - elles font le ménage, la cuisine et s'occupent des enfants de leurs employeurs - dans le cadre du système de la Kafala. C’est la seule option légale offert aux travailleuses migrantes au Liban. Iels sont sponsorisé·e·s par un employeur, qui dicte les termes de leur contrat et les conditions dans lesquelles ils travaillent, les rendant vulnérables à l'exploitation et aux abus, tout en limitant leur accès aux soins de santé.
Depuis 2020, MSF a adopté une approche multidisciplinaire pour répondre aux besoins croissants des travailleur·euse·s migrant·e·s au Liban. À Beyrouth, notre équipe offre des consultations de médecine générale, la prescription et la distribution de médicaments, ainsi que le traitement de plaies et des interventions chirurgicales mineures, en plus de l'orientation vers des établissements médicaux partenaires en cas de besoin pour des soins de santé spécialisés.
« Les patient·e·s, pour la plupart des femmes, insistent sur les mauvaises conditions sanitaires dans lesquelles iels vivent et travaillent, mettant leur santé en danger et entraînant des complications durant leurs traitements », explique Hanadi Syam, référente médical du projet pour les travailleur·euse·s migrant·e·s.
En 2022, MSF a assuré 7 686 consultations médicales, la plupart pour des patient·e·s souffrant de problèmes musculosquelettiques, de troubles gastro-intestinaux, de maladies respiratoires ou de maladies non transmissibles telles que le diabète ou l'hypertension.
Avec l'inflation et l'augmentation des coûts de transport, l'accès aux services de santé est devenu un défi pour beaucoup de personnes, contraignant les gens à donner la priorité aux besoins de base, tels que la nourriture, plutôt qu’aux soins de santé.
Par conséquent, en 2023, les équipes ont commencé à se rendre dans les différents quartiers où vivent principalement les migrants, à Beyrouth et dans le gouvernorat du Mont-Liban, afin de mieux répondre aux besoins des personnes qui ont besoin de soins de santé mais qui ne peuvent pas y accéder aisément.
La plupart de nos patient·e·s, qui ne vivent pas chez leur employeur, s’installent dans des habitations insalubres ou surpeuplées, et nombre d'entre eux se tournent vers des comportements destructeurs pour faire face à la situation.
MSF propose des consultations individuelles et de sessions de psychothérapie, ainsi que des soins psychiatriques pour les besoins accrus. En 2022, notre équipe a assuré 1 471 consultations en santé mentale, recevant des patient·e·s souffrant de psychose, de dépression, de traumatisme ou d'anxiété, dont beaucoup peuvent être directement liés à leurs conditions de vie et de travail.
S'engager avec les communautés et les associations de migrant·e·s
Les travailleur·euse·s migrant·e·s au Liban viennent de toute l'Afrique, de l'Asie et d'ailleurs, et parlent différentes langues, de l'amharique au cinghalais. L’équipe de promotion de la santé de MSF s'engage auprès des différentes communautés pour aider à établir des relations avec les travailleur·euse·s domestiques et gagner leur confiance.
« L'implication des communautés est un élément clé de notre approche centrée sur lea patien·e t afin d'établir une relation transparente et de confiance avec elles », explique Dilshad Karaman, responsable de la promotion de la santé pour le projet. « Grâce aux représentant·e·s des différentes communautés, nous sommes en mesure d'écouter leurs besoins et leurs préoccupations. Nous leur donnons une voix ». Les équipes d'éducateur·ice·s de santé fournissent également des services d'interprétation en bengali, cingalais, amharique ou français aux patient·e·s qui ne parlent ni l'arabe ni l'anglais, de sorte que la langue ne soit plus un obstacle à l'accès aux soins de santé.
Au Liban, et plus particulièrement à Beyrouth, plusieurs organisations dirigées par des personnes migrantes, comme Egna Legna ou d'autres associations libanaises, soutiennent les travailleur·euse·s migrant·e·s en leur fournissant une assistance juridique, un soutien financier ou en défendant leurs droits. Les équipes de MSF participent à des formations de renforcement des capacités et de sensibilisation en collaboration avec ces organisations communautaires en proposant des formations de premiers secours psychologiques ou des sessions sur les traumatismes et la santé mentale chez les travailleur·euse·s migrant·e·s.
Le système de la Kafala
Dans le cadre du système de la kafala, les employeurs - également connus sous le nom de kafeel (sponsors) - sont légalement tenus de fournir une assurance maladie privée à leurs travailleur·euse·s domestiques, mais celle-ci ne couvre que l'hospitalisation en cas d'accident du travail et n'inclut pas les soins de santé généraux, le soutien à la santé mentale ou le coût des médicaments.
l'accès aux services de santé est extrêmement limité pour une grande partie des 135 000 travailleur·euse·s migrant·e·s au Liban.
La crise à plusieurs niveaux dans laquelle le Liban est plongée depuis 2019 a encore aggravé les difficultés rencontrées par les travailleur·euse·s migrant·e·s, en affectant leur santé physique et mentale. Beaucoup de celles et ceux qui sont entré·e·s légalement dans le pays ont depuis perdu leur statut légal. Souvent, les employeurs n'avaient plus les moyens de payer leur salaire ; d'autres ont fui le domicile de leur employeur en raison de l'exploitation ou de la violence. Sans documents officiels, il peut être beaucoup plus difficile de trouver un emploi et de subvenir à leurs besoins, ce qui limite encore leur capacité à accéder aux soins médicaux et au soutien en matière de santé mentale.
Le confinement engendré par la pandémie de Covid-19 n'a fait qu'aggraver la situation, dévoilant les profondes failles structurelles de ce système d'exploitation. De nombreux employeurs ont cessé de payer les salaires et certains ont même jeté les travailleur·euse·s à la rue pour qu'ils se débrouillent seuls ou les ont déposés devant les ambassades de leurs pays. Cette situation a entraîné une augmentation du nombre de sans-abri et une dégradation des conditions de vie dans les logements partagés. Les travailleur·euse·s qui souhaitaient être rapatriés se trouvaient souvent dans l'impossibilité de quitter le Liban sans les documents nécessaires.
Il est urgent de réformer le système de la Kafala. Des efforts doivent être faits pour s'assurer que toute personne, quel que soit son statut juridique, puisse accéder aux soins de santé.