Yémen: «Ces sanctions doivent préciser qu'elles ne s'appliquent pas à l'aide humanitaire.»

Une chirurgienne analyse une radiographie

Yémen4 min

Le gouvernement des États-Unis d'Amérique a désigné Ansar Allah, le groupe yéménite qui contrôle Sanaa et une grande partie du pays, comme «organisation terroriste étrangère». Cela signifie que des sanctions seront appliquées pour empêcher les personnes et les entreprises de travailler avec eux ou les institutions qu'ils contrôlent. Marc Schakal, responsable de programme MSF pour le Yémen, explique les risques pour le pays et sa population s'il n'est pas prévu d'exemptions permettant à l'aide humanitaire de poursuivre ses activités.

Pourquoi MSF est-elle préoccupée par ces sanctions ? 

Jusqu'à maintenant, nous ignorons la manière dont ces sanctions affecteront le travail humanitaire et cela pourrait décourager ou empêcher les organisations humanitaires et les entreprises sur lesquelles elles comptent de travailler au Yémen, ce qui aurait alors des effets désastreux pour les nombreux Yéménites qui ont besoin d'aide. 

L'image que les gens ont de l'aide se résume au médecin qui s'occupe du patient, mais notre intervention va bien au-delà : il faut prendre en compte l'avion qui conduit les équipes dans un pays, les virements bancaires pour payer le salaire du personnel local, le bateau qui apporte les médicaments et autres équipements médicaux. Si les compagnies aériennes et maritimes ainsi que les banques n'ont pas l'assurance de ne pas être inquiétées par les États-Unis d'Amérique s'ils aident à déplacer du matériel ou de l'argent vers le Yémen, ils pourraient alors refuser de collaborer, perturbant ainsi la capacité de ce médecin à prendre en charge un patient. 

Marc Shakal, responsable de programme MSF pour le Yémen.

Marc Shakal, responsable de programme MSF pour le Yémen. Jordanie, Avril 2017

© Tom Barnes

MSF soutient ou gère des hôpitaux et des cliniques dans treize gouvernorats du Yémen, y compris dans les régions du pays contrôlées par Ansar Allah - également appelé Houthis. Nous devons, par conséquent, nous coordonner avec eux et nous acquitter de certains frais pour apporter des médicaments et des équipements médicaux vitaux dans le pays. Nous travaillons également en collaboration avec le ministère de la Santé dans des endroits tels que Khamer, où nous gérons conjointement un hôpital, et où nous complétons les salaires des agents de santé du gouvernement, dont beaucoup n'ont pas été payés depuis des années. Tout ceci pourrait techniquement être rendu illégal par la désignation américaine et notre action deviendra beaucoup plus difficile sans exemptions suffisantes. 

Quelle est la situation au Yémen aujourd’hui ? MSF est-elle préoccupée par la famine dans le pays ?

Le peuple yéménite subit les effets de six années de guerre. Le système de santé a été détruit. Le prix de la nourriture et du carburant augmente avec la crise économique. Nous savons que le Covid-19 a touché de nombreuses personnes et a causé beaucoup de décès mais il est impossible de connaître le chiffre exact compte tenu du peu de tests effectués. Par ailleurs, les résultats des tests réalisés dans les zones contrôlées par Ansar Allah n'ont pas été publiquement publiés. 

Il est très difficile d'apporter une aide aux Yéménites qui en ont le plus besoin, et malgré tout ce que nous et d'autres organisations faisons, les besoins humanitaires restent immenses dans le pays. Les restrictions et obstacles imposés par les autorités sont une composante permanente du travail au Yémen, en particulier dans le nord du pays. Les difficultés administratives pour obtenir des visas pour le personnel spécialisé et celles liées à l’importation de fournitures ajoutent de la frustration et de la complexité. Il existe des zones où l'insécurité complique encore les déplacements. Les retards dans l'acheminement de l'aide auront des conséquences tragiques. 

Une famille regroupée autour d’une brouette

Mosabi et sa famille ont été déplacés de Harad, près de la frontière saoudienne, quelques mois après le début de la guerre. Ils ont d'abord fui vers Hodeidah, puis sont retournés s'installer dans ce camp de Saada. Ville de Saada. Avril 2019.

© Agnes Varraine-Leca/MSF

Nous nous inquiétons beaucoup de la façon dont les sanctions pourraient davantage augmenter le coût de la vie pour une population qui peine à joindre les deux bouts. Contrairement à certains, nous n'avons jamais eu de preuves de famine au Yémen. Il y a de la nourriture dans le pays, mais son prix a augmenté au cours des dernières années, la rendant de plus en plus inabordable pour de nombreuses personnes. La perspective que ces sanctions puissent simultanément rendre la nourriture encore plus chère et rendre l'aide humanitaire plus rare est évidemment très préoccupante.

Que demande MSF ? 

Nous appelons le gouvernement américain à accorder immédiatement les exemptions les plus larges possibles pour les activités humanitaires afin d'atténuer certaines des conséquences attendues de ces sanctions. 

En outre, les secteurs dont dépendent les activités humanitaires - y compris le transport maritime, les services financiers, les assurances et les télécommunications - doivent être clairement informés que la désignation ne vise pas l'action humanitaire et que le maintien des services essentiels ne présente pas de risque juridique pour eux. 

Tout système d'octroi de licences pour exemptions humanitaires doit également être aussi rapide et simple que possible. Quiconque s'engage dans des activités humanitaires ne devrait pas être inquiété par ces sanctions. 

Le gouvernement américain a encore une chance d’éviter certains des effets négatifs de ces sanctions pour les acteurs humanitaires et le peuple yéménite. Il est urgent qu'il saisisse cette opportunité.