Face à la catastrophe titanesque qui frappe le Soudan, une intensification urgente de la réponse humanitaire est nécessaire

MSF aide humanitaire pour les réfugié·e·s soudanais·e·s au Tchad.

Soudan5 min

Un an après le début de la guerre entre les Forces armées soudanaises (SAF) du gouvernement et les Forces de soutien rapide (RSF), le Soudan est confronté à l’une des pires crises de ces dernières décennies. Cette catastrophe titanesque résulte d’actions et de choix humains. Alors que les gouvernements, les organisations humanitaires et les bailleurs de fonds se réunissent le 15 avril à Paris pour discuter des moyens d'améliorer l'acheminement de l'aide humanitaire, Médecins Sans Frontières (MSF) leur lance un appel pour intensifier immédiatement la réponse humanitaire.

La survie de millions de personnes dépend actuellement de la possibilité d’assurer un accès humanitaire sans entrave, mais les parties belligérantes continuent de bloquer intentionnellement l'accès aux organisations ainsi que l'acheminement de l'aide. Les Nations unies et les États membres doivent redoubler d'efforts pour négocier davantage d’espace et intensifier la réponse humanitaire s’ils entendent éviter que cette situation déjà catastrophique ne s’aggrave davantage.

« La population soudanaise dans les zones urbaines résidentielles et dans les villages reste exposée aux bombardements, tirs d'obus et opérations terrestres, alors que le système de santé et les services de base se sont en grande partie effondrés ou ont été endommagés par les parties belligérantes. Seuls 20 à 30 % des centres de santé sont encore fonctionnels au Soudan », explique Jean Stowell, chef de mission de MSF au Soudan.

Un vide humanitaire stupéfiant

Dans les zones proches des hostilités, les équipes de MSF ont soigné des femmes, des hommes et des enfants directement blessé·e·s par les combats. Depuis avril 2023, les structures soutenues par MSF ont reçu plus de 22 800 blessé·e·s et pratiqué plus de 4 600 interventions chirurgicales, dont beaucoup sont liées aux violences survenues à Khartoum et au Darfour. À Wad Madani, une ville entourée de trois lignes de front actives, MSF reçoit 200 blessé·e·s par mois.

Selon les Nations unies, plus de huit millions de personnes ont déjà été forcées de fuir leur domicile et ont été déplacées à plusieurs reprises, et on estime que 25 millions de personnes, soit la moitié de la population du pays, ont besoin d’aide humanitaire. « En plus des décès liés à la violence, nous voyons des enfants qui meurent à cause de la malnutrition et du manque de vaccins, des femmes qui souffrent de complications après des accouchements dangereux, des victimes de violences sexuelles et des personnes atteintes de maladies chroniques qui n'ont pas accès à leurs médicaments », poursuit M. Stowell. « Malgré tout cela, il existe un vide humanitaire stupéfiant. »

Bien que MSF travaille en bonne coopération avec le ministère de la Santé, le gouvernement du Soudan a constamment et délibérément entravé l'accès à l'aide humanitaire, en particulier dans les zones qu'il ne contrôle pas : il refuse systématiquement de délivrer des permis pour la traversée des lignes de front au personnel et au matériel humanitaires, a restreint l'utilisation des postes frontières et a mis en place un processus très restrictif pour l'obtention de visas humanitaires.

« Aujourd'hui, notre plus grand défi est la pénurie de fournitures médicales. Nous n'avons plus de matériel chirurgical et nous un stade où nous devrons cesser nos activités si aucun matériel n'arrive », explique Ibrahim*, un médecin de MSF travaillant à Khartoum, une ville soumise à un blocus depuis six mois. La ville de Wad Madani connaît une situation similaire depuis janvier.

Une goutte d'eau dans l'océan

Dans les zones contrôlées par RSF, où opèrent également différents groupes armés et milices, les établissements de santé et les entrepôts ont été fréquemment pillés au cours des premiers mois du conflit. Les incidents se poursuivent et des travailleur·euse·s médicaux·ales, en particulier du ministère de la santé, sont régulièrement harcelé·e·s et arrêté·e·s.

Dans les régions difficiles d'accès comme le Darfour, Khartoum ou Al Jazirah, MSF est souvent l'une des seules organisations humanitaires internationales présentes, en dépit de l’immensité des besoins. Même dans les régions plus accessibles comme les États du Nil blanc, du Nil bleu, de Kassala et de Gedaref, la réponse globale reste négligeable : une goutte d’eau dans l’océan.

L'ONU et ses partenaires continuent de s'imposer des restrictions d'accès à ces régions, et ne se sont donc pas préparés à intervenir ou à mobiliser des équipes sur le terrain

Ozan Agbas

La situation nutritionnelle catastrophique dans le camp de Zamzam au Darfour du Nord, où le PAM n'a pas distribué de nourriture depuis mai 2023, en est un exemple. Près d'un quart (23 %) des enfants examinés lors d'une évaluation rapide en janvier souffraient de malnutrition aiguë, et 7 % de malnutrition sévère. 40 % des femmes enceintes et allaitantes souffraient de malnutrition et le taux de mortalité dans le camp était de 2,5 décès pour 10 000 personnes par jour.

« La situation au Soudan était déjà très fragile avant la guerre et elle est maintenant devenue catastrophique. Dans de nombreuses régions où MSF a lancé des activités d'urgence, nous n'avons pas vu revenir les organisations humanitaires internationales qui ont évacué en avril, y compris dans les zones plus faciles d’accès », explique Ozan Agbas, responsable des opérations d'urgence de MSF pour le Soudan.

« J'ai dû vendre mes affaires pour m'acheter à manger »

Bien qu’il s’agisse de conditions difficiles, la réponse humanitaire aurait dû augmenter et non diminuer, en particulier dans les zones possibles d’accès. Les acteurs et organisations humanitaires doivent redoubler d’efforts pour trouver des solutions à ces problèmes et intensifier leurs activités à travers le pays.

« Pendant les combats, il n’y avait pas d’accès aux soins ni à la nourriture dans le camp. J’ai dû vendre mes affaires pour acheter de quoi manger », raconte Khadija Mohammad Abakkar, qui a quitté sa maison dans la ville de Zalingei, au Darfour central, et vit aujourd’hui dans un camp de déplacé·e·s.

MSF appelle les parties belligérantes à respecter le droit international humanitaire et les résolutions humanitaires de la déclaration de Jeddah (https://www.state.gov/jeddah-declaration-of-commitment-to-protect-the-civilians-of-sudan/) en mettant en place des mécanismes de protection des civils et en garantissant un accès humanitaire à toutes les régions du Soudan en mettant fin aux blocages. MSF appelle également les Nations Unies à faire preuve de plus de volonté pour contribuer activement à une augmentation rapide et massive de l'aide humanitaire, et demande aux bailleurs d'augmenter le financement de la réponse humanitaire au Soudan.

*Nom modifié