Genève: situation d’insécurité alimentaire grandissante pour les familles avec enfants
© MSF/Nora Teylouni
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Sept adultes sur dix (68.1%) et un enfant sur deux (51.1%) qui se sont présentés à la distribution alimentaire à la patinoire des Vernets le 6 juin 2020 ont dû renoncer à au moins un repas durant la période de pandémie. Tels sont les principaux résultats qui ressortent de l’enquête menée le 6 juin par les Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) et MSF auprès des ménages ayant un ou plusieurs enfants à charge de moins de 13 ans.
Selon l’étude menée le 6 juin, près d’un adulte sur vingt ( 6.2% ) et un enfant sur cent ( 1% ) ont passé au moins une journée entière sans manger. Les Suisses ou détenteurs d’un permis de séjour durable semblent particulièrement affectés par l’insécurité alimentaire. Plus de la moitié des répondant·es vivent dans des logements densément occupés et se trouvent en situation d’insécurité de domicile avec une difficulté à payer leur loyer.
Evolution du profil social
La première enquête réalisée par MSF et les HUG entre le 2 mai et le 6 juin 2020 s’intéressait à tous les adultes présents à la distribution alimentaire. Dans la seconde, seuls ceux qui ont des enfants de moins de 13 ans à charge ont été interrogés. Dans cette seconde étude, les personnes migrantes sans statut légal ( sans-papiers ) représentent 21.8% des participant·es ( 52% dans la première étude ) alors que la majorité des répondant·es ont un permis de séjour et donc accès aux prestations d’aide sociale.
L’enquête montre la présence de 10.1% de citoyen·nes suisses ( contre 3.4% lors de la première enquête ) et de 13% de personnes avec un permis de séjour de longue durée ( permis C ). Au total, 53.5% des participant·es sont au bénéfice d’un permis temporaire ( Permis B : 38.8% ; Permis F : 12.4%, permis N ( requérant·es d’asile ) : 1.3%, autres : 1% ).
Insécurité alimentaire grandissante
Chaque semaine, un nombre grandissant de familles avec jeunes enfants s’est présenté aux distributions alimentaires. Ce constat montre l’ampleur et la rapide augmentation de l’insécurité alimentaire parmi ces familles depuis le début de la crise.
Avant la pandémie, 37.4% des participant·es avaient déjà dû réduire au moins une fois la qualité ou la quantité de leur nourriture par manque de ressources économiques et 26.5% des répondant·es avaient dû les limiter pour leurs enfants. Depuis le début de la crise Covid-19, cette proportion est montée à 68.1% pour les adultes et 51.1% pour les enfants. Les ménages suisses ou au bénéfice d’un permis de longue durée semblent particulièrement affectés par l’insécurité alimentaire.
Répercussions chez les jeunes enfants
Cette étude montre également la difficulté d’accès au lait artificiel pour les familles précaires. Depuis le début de la crise, certains nourrissons sont ainsi alimentés au lait de vache bien que cela soit médicalement contre-indiqué à leur âge ce qui les met à risque de conséquences sur leur développement.
Parmi les 92 enfants âgés de moins de 2 ans, seuls 31.6% étaient allaités ( allaitement maternel exclusif ou mixte ), 50% recevaient du lait artificiel ( exclusivement ou avec du lait maternel ) et 18.4% recevaient du lait de vache ( exclusivement ou avec du lait maternel ). Parmi les enfants recevant du lait de vache, 4 enfants avaient 7 mois ou moins. Avant le début de la crise du Covid-19, 60% des répondant·es avec enfants allaités au lait artificiel déclaraient ne pas avoir de difficulté financière à acheter le lait en poudre. Ce chiffre est descendu à 46% depuis le début de la crise.
Insécurité de logement
L’enquête montre que 14% des ménages vivent dans un hébergement collectif ( foyer ou abris pour personne sans domicile fixe ) ou ne déclarent aucun logement fixe. Les autres vivent en appartement ou maison avec une médiane de 3 co-habitants. La médiane de densité d’occupation ( personnes/pièce pour dormir ) est de 2 et 58.3% des répondant·es rapportent une situation de surpeuplement dans leur logement avec des différences importantes entre les résidents suisses ( 26.9% ) et ceux sans-papiers ( 79.3% ).
La majorité des répondant·es ( 53.2% ) se déclare en situation d’insécurité de logement avec une difficulté à payer le loyer, tout particulièrement parmi les personnes sans papier ( 71.9% ) et 6.8% des personnes interrogées ( 12.1% des sans-papiers ) ont perdu leur logement ou ont dû déménager depuis le début de la crise Covid-19.
Accès aux soins et au système scolaire excellent
L’étude met en lumière le fait que l’inclusion dans le système scolaire et l’accès aux soins des enfants de cette population est de manière générale excellente.
Méthodologie de l’étude
Au total, 399 personnes ont été abordées dans la file d’attente de la distribution alimentaire organisée à la Patinoire des Vernets de Genève le 6 juin 2020. 358 ( 89.7% ) ont accepté de répondre à un questionnaire dont les réponses étaient rendues anonymes. Les données de 310 adultes et de 542 enfants ont été incluses dans l’analyse. La médiane d’enfant à charge de moins de 13 ans était de 2 par ménage. L’âge médian des enfants était de 5 ans avec une prédominance d’enfants âgés de plus de 5 ans ( 0-23 mois: 17.1% ; 2-4 ans : 26.6 % ; 5-12 ans : 56.3% ). Les adultes étaient majoritairement des femmes ( 71,6% ) dont l’âge moyen était de 37 ans et 40,1% des personnes interrogées élevaient seules leurs enfants.
Réserve d’usage
L’enquête a eu lieu en plusieurs langues. Une seule personne par famille y a participé. Elle ne prétend pas être représentative de l’ensemble de la population précaire à Genève et les résultats doivent être interprétés avec précaution en raison des conditions de récolte des données et de la possibilité de biais dans les résultats et leur analyse.
© MSF/Nora Teylouni