Attaques sur l’île de Koulfoua au Tchad: «Touchés dans la chair»
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Docteur Silas Adamou Moussa est Adjoint au Chef de mission MSF au Tchad, dans les bureaux de N’Djamena, la capitale. Il fait partie de l’équipe qui a été constituée pour prendre en charge les blessés des attaques de l’île de Koulfoua. Il raconte.
«Nous sommes partis de N’Djamena dimanche après-midi, dès que nous avions pu rassembler une équipe et charger le matériel chirurgical et les médicaments nécessaires dans un petit camion. Nous sommes arrivés dans l’hôpital de Mani avant les blessés, car ils attendaient d’y être transférés depuis une petite ville sur les bords du lac. C’est dans un centre de santé de base qu’avaient été amené plus de cent personnes blessées lors des attaques de Koulfoua. Beaucoup étaient dans un état grave et n’avaient encore reçu aucun soin pendant la traversée de trois heures en pirogue qui sépare l’île de la rive.
Le premier tri des blessés s’effectuait là-bas : ceux qui avaient besoin d’une intervention chirurgicale d’urgence seraient transférés en capitale et ceux dont les blessures étaient secondaires iraient à Mani, une ville près de la frontière avec le Cameroun. C’est là que notre équipe a été déployée. Nous avons travaillé dimanche soir jusqu’au petit matin pour installer les tentes et le matériel médical et chirurgical dont nous avions besoin. Vers 2h du matin, tout était prêt pour accueillir le premier afflux de blessés : les équipes médicales étaient organisées et trois tentes de dix lits chacune avaient été montées par les équipes logistiques, qui avaient aussi installé l’eau courante et l’électricité.
Les blessés ont continué à arriver jusqu’au lendemain en ambulance depuis Guitté. Pour être franc, je n’avais jamais vu de telles blessures. Les hommes, les femmes et les enfants avaient le corps criblé d’éclats tranchants. Verre, clous, morceaux de ferraille avaient pénétré dans leur chair, sur le visage, le buste, les membres… Ils sont arrivés défigurés, lacérés.
Je n’ai pas dormi depuis que nous sommes arrivés. La nature des blessures implique que nous passions beaucoup de temps avec chaque patient, pour retirer tous les éclats de verre, tous les morceaux de fer… il faut parfois plusieurs heures pour vérifier toutes les parties du corps. Beaucoup auront des séquelles, notamment lorsque les éclats ont touché les yeux, ou des muscles de mobilité. Parfois, on découvre qu’une amputation est nécessaire : il faut alors organiser le transfert du blessé à N’djamena, où les capacités chirurgicales sont plus importantes.
J’ai tout de suite demandé un traducteur pour pouvoir communiquer avec les patients. Il me rapporte leurs histoires, ce qu’ils ont vu de l’événement et qu’ils nous confient. Une femme m’a raconté aujourd’hui qu’elle était partie acheter du poisson au marché avec sa jeune fille. Elles faisaient leurs commissions quand tout est devenu noir, « comme si un voile avait recouvert tout ce qui les entourait », disait-elle. Elle s’est réveillée à l’hôpital, sans savoir où était sa fille. L’enfant a été gravement blessée et elle a été transférée à N’Djamena, mais nous avons eu des nouvelles aujourd’hui et elle va mieux. Cette femme et toutes les autres victimes sont choquées. Elles ont très peur et sont très inquiètes de ce que sera leur futur sur les îles.
Je suis du nord Cameroun, une région qui subit aussi des attaques similaires. Ce qui m’attriste, c’est qu’en plus de la pauvreté, les habitants de la région doivent désormais faire face aux violences. Ces gens n’ont aucun moyen de se protéger contre ces attaques et n’ont nulle part où aller. La peur s’est répandue dans la ville de Mani, où l’hôpital est aujourd’hui un des seuls endroits où il y ait de l’activité. Les rues sont désertes, les gens cloîtrés chez eux.
Cela fait sept ans que je travaille pour MSF, mais c’est la première fois que je suis amené à m’occuper de victimes d’attentats. J’ai vu beaucoup de blessures et de traumatismes, mais ce qui est différent cette fois, c’est que les blessures infligées sont intentionnelles.
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