Dadaab: « rentrer chez nous n’est pas une solution »
© Paul Odongo/MSF
Kenya6 min
La fermeture des camps de réfugiés de Dadaab et la pression exercée sur la population pour qu'elle rentre en Somalie entraîneront une crise humanitaire bien plus grave qu’elle ne l’est déjà. C’est le point de vu de plusieurs réfugiés, notamment ceux qui étaient déjà retournés en Somalie, mais qui sont revenus dans les camps en raison de la violence omniprésente et du manque d’accès aux services de base dans leur pays.
Au cours des 30 dernières années, plus de 200 000 personnes sont arrivées au Kenya en plusieurs vagues de déplacement. Elles vivent actuellement à Dadaab. Le Kenya et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ayant récemment annoncé la fermeture des camps en juin 2022, beaucoup de réfugiés s’inquiètent pour leur avenir. Ils sont pourtant sûrs d'une chose : ils ne veulent pas retourner en Somalie, leur pays d'origine pour une majorité d’entre eux.
J'irais n'importe où, sauf en Somalie.
Vivant aujourd'hui à Dagahaley, l'un des trois camps de Dadaab, Halima, 33 ans, s’était sentie obligée de retourner en Somalie quelques années plus tôt, après avoir appris le kidnapping de son mari. À peine sur place, elle a également été enlevée avec ses cinq enfants. « J'ai été torturée et violée, ma fille de 12 ans également, dit-elle, en pleurant. Nous avons été libérés au bout d'un mois, lorsque notre état de santé s'est détérioré, et nous avons réussi à fuir à nouveau vers Dadaab. »
Lorsqu'elle a entendu l’annonce de la fermeture de Dadaab à la radio, Halima explique qu’elle eut une vision de ses enfants dans leurs tombes. « Cela m'a brisé le cœur. », ajoute-t-elle.
Pour Ahmed, 64 ans, qui était également rentré en Somalie par le biais du programme de rapatriement volontaire du HCR en 2018, la vie était loin de ressembler à ce à quoi il s'attendait. « J'avais espéré un pays dont la situation s’était améliorée, avec une plus grande sécurité et de meilleurs services », dit-il. Il est revenu seulement deux mois après son rapatriement, il vit désormais à la périphérie du camp de Dagahaley. « Je suis inquiet de ce qui se passera si le camp est contraint de fermer, déclare-t-il. Même si nos conditions de vie ici sont difficiles, elles sont certainement meilleures qu'en Somalie. »
D'autres, qui sont nés dans le camp ou y ont vécu presque toute leur vie, se demandent ce qu’ils retrouveraient en cas de retour. « Je ne connais rien de la Somalie, explique Idilo Boro Amiin, 20 ans, qui est née dans le camp. Toute ma vie, je n'ai connu que Dagahaley ». Idilo a trois enfants, également nés dans le camp.
Inquiétudes concernant l’accès aux soins de santé
Au-delà de la sécurité, de nombreux réfugiés s'inquiètent de savoir comment ils pourront continuer à accéder aux services de base, notamment aux soins de santé, lorsque les camps seront fermés.
« Ma plus grande inquiétude est de savoir comment obtenir de l'insuline pour ma fille », explique Isnina Abdullahi. Sa fille Idilo est obligée de s'injecter de l'insuline tous les matins et tous les soirs depuis qu'on lui a diagnostiqué un diabète de type 1 en 2009. Aujourd'hui, Idilo fait partie d'un programme géré par Médecins Sans Frontières, grâce auquel elle a été formée à mesurer elle-même sa glycémie et à s'injecter son insuline. Elle récupère chaque mois son traitement à l'hôpital, qu'elle peut conserver dans une boîte réfrigérante portable.
Rien qu'à Dagahaley, un camp de plus de 70 000 personnes, une cinquantaine de personnes ont besoin de soins continus pour leur diabète, tandis que 300 autres ont besoin d’un traitement pour leurs maladies chroniques comme le VIH, la tuberculose, divers cancers ou des troubles neurologiques. Dans le camp, chaque année MSF réalise en moyenne 700 opérations chirurgicales, y compris des césariennes, pour sauver des vies.
« Si les camps ferment et qu'il n'y a pas de solutions alternatives pour que les gens puissent continuer à accéder aux soins de santé, cela serait désastreux, explique Jeroen Matthys, coordinateur de projet MSF à Dagahaley. Pour ceux qui choisissent de retourner dans leur pays d'origine, mais qui ont besoin de poursuivre leur traitement, il est vital qu'ils puissent continuer à recevoir des médicaments et que des solutions soient anticipées. »
Un retour forcé laissera de profondes cicatrices psychologiques
En plus de mettre leur vie en péril et de limiter leur accès aux services, obliger les réfugiés à rentrer chez eux peut laisser de profondes cicatrices psychologiques qui risquent d'avoir un impact durable sur la qualité de vie de beaucoup d'entre eux.
Depuis son retour, Halima est prise en charge pour des troubles de stress post-traumatique à la clinique de santé mentale de MSF à Dagahaley. Sa fille aînée a, elle aussi, besoin d'un soutien psychosocial régulier. Bien qu'elle ait 16 ans, elle est toujours à l’école primaire, comme sa sœur de huit ans.
« Cela a été une épreuve pour ma fille, dit Halima. Elle ne s'est jamais remise du traumatisme auquel elle a été confrontée [en Somalie], et cela affect sa vie quotidienne et ses performances à l'école. »
Les plans de fermeture manquent de clarté
En avril, le HCR a présenté une feuille de route pour la fermeture des camps, mais un plan définitif n'est attendu que dans le courant de l'année. Cela laisse peu de temps aux réfugiés pour se préparer à la suite des événements. Quoi qu'il arrive, les habitants des camps disent que, pour l'instant, ils n'ont que deux options : se réinstaller dans autre pays ou rester au Kenya.
Hawa, 35 ans, est tellement traumatisé par l'enlèvement de son frère qui a ensuite été torturé par des groupes armés en Somalie qu'il refuse de dormir la nuit. Il déclare : « Je suis heureux d'être réinstallé ici, mais si tout ferme, je préfère m'intégrer localement plutôt que de retourner en Somalie. »
« Ce que nous constatons, c'est que le retour ne n’est pas une solution durable pour beaucoup, pas tant que les conditions de vie et la paix ne sont pas fermement établies dans leur pays d'origine, explique Dana Krause, cheffe de mission MSF au Kenya. De nombreux réfugiés revenus ici nous disent que l'insécurité est encore omniprésente en Somalie. Au lieu de se précipiter pour fermer les camps, ce qu'il faut, ce sont des discussions constructives incluant les réfugiés et les communautés hôtes, afin que nous puissions les aider à obtenir des solutions durables et dignes. »
Mohamed Noor Mohamed, 58 ans, est un des responsables de la communauté d'accueil dans la région. Il affirme qu’au fil des ans, les réfugiés et les communautés locales ont tissé des liens étroits, par le biais de mariages mixtes, d'activités commerciales communes et du partage du bétail. Il ajoute que sa communauté n’est pas satisfaite du projet de fermeture du camp. « Si les réfugiés partent, nous devrons aussi partir, car nous ne pouvons pas survivre ici sans accès à l'eau et aux autres services dont nous bénéficions actuellement. »
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