Des familles victimes de la sécheresse se débattent avec la rougeole, une maladie qui tue
© Dahir Abdullahi/MSF
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En Somalie, une des pires sécheresses de ces dernières décennies frappe le pays. Une épidémie de rougeole aggrave la situation. Les équipes MSF ont vu près de 6000 cas suspects de rougeole entre le début de l'année et la mi-mai. Abay Subow et Maryan Ahmed témoignent.
Baidoa, Somalie
Abay Subow, 35 ans, est mère de six enfants. Ell est arrivée au début de l'année 2020 dans l'immense camp de déplacés de Nimole, à la périphérie de la ville de Baidoa, dans l'État du Sud-Ouest en Somalie. Abay, ainsi que son mari et ses six enfants, ont été contraints de fuir leur ferme de Dinsor en raison des sécheresses récurrentes, du conflit et du manque d'accès à l'aide humanitaire dans sa localité. Sa ville natale est située à 120 kilomètres au sud-est de Baidoa, dans la région de Bay. Après une succession de précipitations insuffisantes et de mauvaises récoltes, et après avoir perdu son troupeau à cause de la sécheresse, la famille d'Abay, ainsi que d'autres proches et voisins, a pris la décision de fuir vers Baidoa, à la recherche de nourriture, d'eau et d’un abri. Il leur a fallu six jours de marche sur une route très éprouvante et dangereuse pour atteindre Baidoa, une ville qui accueille déjà difficilement un demi-million de personnes déplacées. Arrivée au camp de Nimole, elle a reçu très peu d'aide matérielle, malgré les mauvaises conditions de vie et l'insalubrité du camp.
Au loin, une multitude de femmes, d'enfants et de personnes âgées se sont rassemblés sous un grand arbre aux feuilles d'un vert éclatant, qui offre un peu de fraîcheur dans la chaleur de midi sur le site du camp de Barsar. La seule source d'eau est un robinet qui fonctionne pendant quelques heures. Mais pour l’instant il est à sec, et un petit groupe d'adolescentes font la queue pour remplir leurs jerrycans, en espérant qu'un peu d'eau coule à nouveau. Des rickshaws et de petites camionnettes vont et viennent à toute allure le long des pistes de terre qui serpentent entre les abris de fortune montés les uns contre les autres, tous recouverts de chiffons identiques et de morceaux de bâche. Ils sont si proches que les fréquents départs de feu se propagent vite d'une maison à l'autre.
Abay tient dans ses bras sa fille de 3 ans, qui a la rougeole. Il y a une semaine, sa fille a eu de la fièvre, le nez qui coule et a perdu l'appétit. Ces symptômes n'ont pas alerté Abay, qui ne l’a pas emmené à l'hôpital. Un jour plus tard, une éruption cutanée est apparue, suivie de diarrhées. Comme l'état de son enfant se détériorait, Abay l’a emmailloté pour la mettre sur son dos et elle s'est mise en route vers l'hôpital régional de Bay à Baidoa, soutenu par MSF et qui se trouve loin de chez elle. Elle y a passé une nuit et le diagnostic qu’elle a reçu pour sa fille est la rougeole.
« J'ai cinq autres enfants dont je dois m'occuper, dit Abay. Mon mari fait des petits boulots, donc il n'est pas là pendant la journée. Je ne cherche pas à faire soigner mes enfants pour des maladies mineures, sauf si elles s'aggravent. »
L'hôpital est loin de chez moi, je ne peux donc pas me permettre de venir à chaque fois.
La rougeole est très répandue dans la plupart des régions de Somalie et touche les enfants de tous âges, quelle que soit la saison. Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), au cours des deux premiers mois de cette année, plus de 3 500 cas suspects de rougeole ont été signalés dans 18 régions du pays. Compte tenu des faibles niveaux de couverture vaccinale et de la forte prévalence de la malnutrition et de carences en vitamine A, le risque global de rougeole au niveau national est jugé très élevé. Ce risque est encore aggravé par une crise humanitaire complexe, causée par le conflit et les sécheresses récurrentes, ainsi que par les déplacements de population qui en résultent.
Lutter contre la rougeole est un énorme défi en Somalie, en raison de la faible couverture vaccinale de routine, des déplacements et des difficultés à atteindre les enfants qui vivent dans des zones où règne une grande insécurité ou dans des régions où les routes et les infrastructures sont en mauvais état. La sécheresse et l'insécurité contraignent les gens à se déplacer vers les zones urbaines pour chercher de l'aide, et le risque de propagation de la rougeole dans les centres urbains denses est élevé.
« Il y a environ un an, une petite quantité de cas de rougeole arrivait quotidiennement dans la structure, explique Asma, responsable des activités médicales de MSF à Baidoa, qui travaille à l'hôpital Bay, soutenu par MSF, et qui a longtemps été en première ligne pour répondre à l'épidémie. La plupart des cas provenaient de camps accueillant des personnes déplacées par la sécheresse. Ces personnes vivent dans des structures surpeuplées, de sorte que la rougeole peut se propager très rapidement. La plupart des enfants présentent des complications graves, comme des infections respiratoires, oculaires ou une pneumonie, et sont admis pour recevoir une prise en charge thérapeutique. »
Las Anod, Somaliland
Il est fréquent que les enfants développent des éruptions cutanées sur tout le corps en raison du climat chaud du Somaliland. C’est pourquoi Maryan ne s'est pas inquiétée de l'état de santé de sa fille jusqu'à ce qu'elle remarque, trois jours plus tard, des éruptions cutanées et des plaies buccales chez sa fille.
« De temps en temps, je donne un bain à ma fille le soir avec de l'eau chaude », raconte Maryan Ahmed, une mère déplacée par la sécheresse depuis longtemps qui s'est maintenant intégrée dans la communauté d'accueil de la ville de Las Anod, dans la région de Sool. « Ce jour-là, j'ai utilisé un peu d'eau froide pour la baigner. Quelques heures plus tard, elle avait une forte fièvre et des difficultés à respirer. »
Comme elle connaissait l'hôpital général de Las Anod, soutenu par MSF, elle a emmené d'urgence sa fille à l'hôpital. Bushra a été diagnostiquée et admise dans le service d'isolement pour la rougeole. Elle réagit désormais positivement au traitement et son état s'est amélioré.
« Maintenant, elle se lève toute seule, dit Maryan. Elle a pris du porridge ce matin et la fièvre a disparu. Elle me demande quand nous allons rentrer à la maison. Nous sommes heureuses. »
Depuis février 2022, l'hôpital général de Las Anod reçoit des patients souffrant de la rougeole provenant principalement de Las Anod et des districts voisins tels que Taleh et Hudun.
« A ce jour, nous avons traité 645 patients depuis la récente épidémie, dont des enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition sévère et de complications médicales ainsi que quelques femmes enceintes, » continue Zafar Khan, coordinateur de projet MSF à Sool.
MSF a aidé les hôpitaux de Somalie et du Somaliland à mettre en place un service d'isolement pour la gestion des cas de rougeole, a fourni du matériel médical et a offert un soutien en ressources humaines et une formation au personnel médical. Même après de nombreuses sensibilisations communautaires sur la nécessité d'un traitement rapide, les communautés locales continuent de différer le recours aux soins médicaux jusqu'à ce que leur état s'aggrave, de peur d'être identifiées comme porteuses d'une maladie grave et d'être ensuite isolées. Certaines familles n'ont pas non plus les moyens de se rendre dans les services de santé. Il est donc très compliqué de gérer des épidémies mortelles de cette ampleur en même temps que des flambées de malnutrition et de choléra qui se produisent également au même moment. L'engagement des communautés et l'instauration d'un climat de confiance sont essentiels à la réussite des activités médicales. MSF s'appuie sur les structures communautaires existantes pour dispenser ses soins et informe en temps utile les communautés vulnérables.
© Dahir Abdullahi/MSF