Grèce: MSF dénonce les traitements inhumains aux frontières maritimes
© MSF/Evgenia Chorou
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Athènes/Bruxelles/Genève, 2 novembre 2023 — La visite actuelle de la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider en Grèce confirme une fois de plus l'importance stratégique des frontières extérieures de l'espace Schengen pour la Suisse. « En Grèce, nous recueillons des témoignages récurrents selon lesquelles des personnes cherchant la sécurité en Europe ont été accueillies sur les îles grecques de la mer Égée avec des traitements dégradants et des violences physiques. Cela doit cesser », déclare Stephen Cornish, directeur général de Médecins Sans Frontières (MSF) Suisse. « Nous appelons la Suisse, ainsi que les autres pays européens membres de l'espace Schengen et les signataires du règlement de Dublin de l'UE, à mettre fin au climat d'impunité et à veiller à ce que les personnes cherchant une protection aux frontières de l'espace Schengen aient accès à des procédures d'asile équitables et dignes, conformément au droit européen et international ».
MSF publie aujourd'hui un rapport intitulé In Plain Sight: The human cost of migration policies and violent practices at Greek sea borders [en français : A la vue de tous : le coût humain des politiques migratoires et des pratiques violentes aux frontières maritimes grecques], contenant des informations recueillies entre août 2021 et juillet 2023 par ses équipes médicales à Lesbos et Samos. S'appuyant sur les témoignages de 56 patient·e·s, ainsi que sur les données et observations médicales de MSF, ce rapport révèle une réalité choquante quant à l'accueil réservé aux personnes cherchant refuge en Europe, dont beaucoup fuient la violence et les persécutions dans leur pays d'origine et ont déjà effectué un périple dangereux et souvent traumatisant pour arriver jusqu'ici.
Dès que l’on est entrés dans les eaux grecques, un petit bateau gris est venu dans notre direction. Un homme vêtu de noir, le visage couvert, a sauté sur notre bateau. Il tenait un bâton et a commencé à frapper la personne qui se trouvait devant lui. Puis il a arraché le moteur et l'a laissé couler. On s’est retrouvés au milieu de la mer sans moteur.
Certain·e·s patient·e·s rapportent avoir été victimes de violences avant même d'avoir atteint la terre ferme. D'autres patient·e·s MSF décrivent comment, arrivé·e·s à Lesbos ou à Samos sur de petites embarcations, ils et elles ont été intercepté·e·s par des individus en uniforme ou des hommes masqués non identifiés. Ils et elles ont alors été soumis·e·s à des traitements dégradants et violents, les poignets et les chevilles attachés par des liens en plastique, ont été battu·e·s avec des matraques et des bâtons, injurié·e·s et forcé·e·s de subir des fouilles corporelles intrusives devant des inconnus.
Ils l'ont traînée par terre... Ils les ont attachées comme ça [en joignant les poignets devant son corps], ils ont aussi attaché la femme enceinte. Ils ont même marché sur le ventre de l'autre femme, tout en la battant.
Certain·e·s patient·e·s rapportent que les objets qu'ils possédaient, notamment leur téléphone portable, leur argent et leurs médicaments, ont été confisqués avant que les autorités ne les embarquent de force sur des bateaux, les ramènent en mer, les transfèrent sur des radeaux de sauvetage, puis les laissent dériver – une pratique illégale connue sous le nom de « pushbacks » (refoulements).
Au cours des deux dernières années, les équipes MSF à Lesbos et à Samos ont apporté une assistance médicale à 7 904 personnes, dont 1 520 enfants, peu après leur arrivée sur les îles. Beaucoup de ces nouveaux·elles arrivant·e·s étaient dans un état de détresse émotionnelle, épuisé·e·s, mouillé·e·s, assoiffé·e·s, affamé·e·s, exposé·e·s à la chaleur ou le froid extrêmes et couvert·e·s de blessures et d'ecchymoses, apparemment à la suite de violences. Parmi eux·elles se trouvaient des femmes à un stade avancé de leur grossesse, des nouveau-nés, des mineurs non accompagné·e·s et des personnes âgées. Les médecins MSF ont soigné 557 personnes pour blessures physiques et les équipes de santé mentale MSF ont assuré 8 621 consultations psychologiques et psychiatriques. Certain·e·s patient·e·s souffrent de stress post-traumatique, conséquence directe de leur arrivée en Grèce.
La plupart de ces personnes ont fui des pays où les violences et les persécutions sont très fréquentes. Beaucoup ont survécu à d'horribles périples, souffrant notamment de blessures de guerre, victimes de violences sexuelles et de trafics d'êtres humains. Pour ces personnes déjà vulnérables, la violence ou les mauvais traitements à la frontière aggravent encore les conséquences médicales et psychologiques de ces expériences traumatisantes.
Parallèlement, les organisations de la société civile et celles d'aide qui tentent d'apporter une assistance aux personnes vulnérables sur les îles de la mer Egée ont vu leurs actions entravées par les autorités et courent le risque d'être poursuivies en justice.
« Nous exhortons le gouvernement grec et les dirigeants européens à prendre des mesures immédiates pour s'assurer que les personnes qui cherchent une protection en Grèce soient traitées avec humanité et dignité, déclare le Dr Christos Christou, président international de MSF. Il s'agit notamment de mettre fin au climat d'impunité dont jouissent les auteur·rice·s de violences à l'encontre des personnes en quête de sécurité, et ce dans le respect du droit européen et international. Nous demandons également l'arrêt définitif des refoulements aux frontières, la mise en place, sur les îles de la mer Egée, d'un système de contrôle indépendant et l'intensification des opérations de recherche et de sauvetage en mer. Enfin, nous appelons à ce que les personnes sollicitant une protection aient accès à des procédures d'asile équitables et à une assistance médicale et humanitaire à leur arrivée. »
© MSF/Evgenia Chorou