Guatemala: les migrants face à l’abîme
© MSF/Esteban Montaño
Santé mentale7 min
Depuis novembre 2021, une équipe de l'organisation médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins médicaux et une assistance aux migrants qui passent par Tecún Umán, une ville située à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Entretien avec le Dr Miriam Hernández, responsable des activités de santé mobile du projet.
Comme toute ville frontalière, Tecún Umán est bruyante et frénétique. Tous les jours, de très tôt le matin jusqu'à la fin de l'après-midi, la zone autour du pont qui relie le Guatemala au Mexique par la rivière Suchiate est bondée de gens qui vont et viennent, sans arrêt. Peu importe que l'on soit dimanche ou mardi, ou que le soleil soit brûlant et la chaleur écrasante ; quel que soit le moment de la journée, Tecún Umán est une ruche de personnes en mouvement.
En raison de son emplacement, Tecún Umán est devenu l'un des points chauds de la région : chaque jour, des milliers de personnes traversent cette ville de 30 000 habitants, située à l'extrême ouest du Guatemala. Pour la plupart, il s'agit de la dernière étape avant d'entrer au Mexique par l'État du Chiapas. Pour les autres, il s'agit d'une étape sur le chemin du retour, après avoir été expulsées de l'un des centres de détention mexicains ou américain, où elles ont été confinées dans le cadre du plan conjoint des deux pays pour arrêter le flux migratoire.
Ils sont nombreux à arriver avec des problèmes de santé, sans ressources suffisantes pour poursuivre leur voyage, et portant la charge émotionnelle d'avoir été confrontées à de multiples risques et menaces durant leur périple.
« L'afflux a été si important qu'il a dépassé la capacité de réponse de Tecún Umán », explique le Dr Miriam Hernández, un médecin mexicain qui travaille avec MSF depuis 2016 dans des projets à travers le Mexique, et qui coordonne désormais les activités mobiles de MSF à Tecún Umán.
Que fait MSF à Tecún Umán ?
« Nous aidons différents groupes de migrants : les migrants en transit vers le Mexique et les États-Unis ; les Guatémaltèques expulsés du Mexique et des États-Unis vers le Guatemala ; et enfin, mais dans une moindre mesure, les demandeurs d'asile. Nos équipes travaillent sur trois sites : le terminal de bus, le centre pour rapatriés et, à mi-chemin entre les deux, la clinique MSF. Nous disposons d'une équipe multidisciplinaire composée de professionnels en médecine, en soins infirmiers, en psychologie, en promotion de la santé, en travail social et en logistique. Nous offrons des consultations de santé de base gratuites et confidentielles, des soins de santé mentale, des activités de promotion de la santé, de l'eau potable et des informations. »
Quel type de problèmes médicaux rencontrez-vous ?
« Dans le centre pour rapatriés, nous voyons de nombreux problèmes de santé liés au long voyage depuis les migrations stations au Mexique. Certains ont voyagé pendant des heures, d'autres pendant plusieurs jours. Nous voyons des personnes souffrant de douleurs musculaires, de maladies respiratoires et de diarrhées dues à la mauvaise qualité de la nourriture qu'elles reçoivent dans les centres de détentions et pendant le voyage. Nous voyons beaucoup d'adultes seuls, de familles et de mineurs non accompagnés. Il est choquant de voir les bus remplis d'enfants expulsés vers le Guatemala deux fois par semaine.
Au terminal de bus, nous voyons aussi des personnes d'autres nationalités. Nous avons identifié plusieurs personnes souffrant de problèmes de santé mentale liés à des situations violentes dans leur pays d'origine et pendant le voyage. Ces personnes sont souvent victimes d'extorsion de la part des passeurs, appelés "coyotes", de harcèlement de la part de la police et d'agressions de la part de criminels de droit commun ou de bandes criminelles organisées. Nous voyons fréquemment des patients qui ont subi des dépressions nerveuses ou des blessures physiques résultant de ces événements. Nous voyons aussi des personnes qui ne prennent pas leur traitement pour des maladies chroniques comme le diabète ou l'hypertension, car il y a de plus en plus de personnes âgées sur la route migratoire.
Nous traitons aussi des demandeurs d'asile envoyés par une organisation voisine. Beaucoup sont à Tecún Umán depuis des mois, voire des années, sans avoir accès aux services de santé. Cela est dû en partie au fait que le système public n'a pas la capacité de s'occuper d'eux, mais aussi à la xénophobie latente. Ces derniers mois, nos services médicaux ont offert une option à ce groupe. »
Quels ont été les principaux défis dans la mise en place de ce projet ?
« Le principal défi est que les migrants sont contraints d'utiliser des services informels, clandestins, loin de la portée des différentes organisations. Il est donc très difficile pour nous d'accéder à ces personnes et de proposer nos services. Nous avons travaillé sur ce point, et ces groupes de personnes commencent à se familiariser avec nous, avec ce que nous faisons et pourquoi nous sommes là.
Il a été fondamental d'expliquer nos principes : nous sommes neutres, impartiaux et indépendants, et notre seul intérêt est de sauver la vie et d'alléger la souffrance des personnes les plus vulnérables.
Petit à petit, nous avons ouvert un espace de travail et nous avons expliqué à la communauté locale que nous ne sommes pas en concurrence avec elle. Ils nous ont acceptés parce qu'ils voient que nous ne sommes pas là pour leur prendre leur travail. Grâce à cette acceptation et à notre présence régulière sur les trois sites, nous sommes désormais en mesure d'offrir des services essentiels à la population migrante. »
Comment fournissez-vous des soins médicaux à des personnes qui se déplacent si rapidement ?
« J'ai été surprise par la vitesse à laquelle les gens traversent la ville. Nous avons très peu de temps pour les atteindre et évaluer leur état de santé. Cependant, il y a des choses fondamentales dont tout le monde a besoin, comme de l'eau à boire. En leur offrant un kit d'hydratation ou en leur donnant une carte de la route migratoire, nous gagnons quelques minutes pour expliquer nos services.
Nous devons également tenir compte du fait que les gens arrivent dans la peur dans un endroit inconnu, et que certains ont récemment été agressés. Donc, en leur fournissant de l'eau potable, ainsi que des informations de manière désintéressée, y compris des lignes d'assistance téléphonique et des informations sur les autres points MSF le long de la route, nous pouvons gagner leur confiance. Finalement, certains acceptent une consultation médicale pour évaluer les autres besoins de santé qui peuvent exister. »
En quoi ce projet est-il différent des autres dans lesquels vous avez travaillé ?
« Sans aucun doute, les défis spécifiques auxquels les déportés sont confrontés sont ce qui rend ce projet différent. Être un déporté au Mexique n'est pas la même chose qu'être un déporté au Guatemala. Beaucoup de ceux qui reviennent ici ne peuvent pas rentrer chez eux, ils sont donc confrontés au dilemme de demander l'asile à Tecún Umán, s'ils sont étrangers, ou d'essayer de retourner au nord. Les personnes qui sont bloquées ici vivent dans une situation très précaire. Nous avons vu des déportés guatémaltèques arriver sans l'argent nécessaire pour passer un coup de fil ; quelques jours plus tard, nous les voyons vivre dans la rue.
C'est également très compliqué lorsque les gens arrivent sans leurs papiers. Même s'ils sont citoyens de ce pays, le fait de ne pas avoir de carte d'identité entraîne de multiples problèmes : ils ne peuvent pas se faire vacciner, ils ne peuvent pas demander une consultation médicale, ils ne peuvent pas recevoir l'argent que leur envoient leurs proches, etc. C'est très dur car, en plus d'être renvoyés dans un pays qu'ils ont tenté de fuir, lorsqu'ils arrivent ici, ils se retrouvent face à un abîme et sans possibilité de s'échapper. »
© MSF/Esteban Montaño