Libye: MSF suspend ses activités dans deux centres de détention
© Guillaume Binet/Myop
Libye5 min
Suite à des incidents répétés de violence envers les réfugiés et les migrants détenus dans deux centres de détention à Tripoli, l'organisation médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF) annonce qu'elle suspend temporairement ses activités dans les centres de détention de Mabani et d'Abu Salim.
« Ce n'est pas une décision facile à prendre, car cela signifie que nous ne serons pas présents dans les centres de détention où nous savons que les gens souffrent au quotidien », a déclaré Béatrice Lau, chef de mission MSF en Libye. « Cependant, le schéma persistant d'incidents violents et de préjudices graves pour les réfugiés et les migrants, ainsi que le risque pour la sécurité de notre personnel, ont atteint un niveau que nous ne pouvons plus accepter. Jusqu'à ce que la violence cesse et que les conditions s'améliorent, MSF ne peut plus fournir de soins humanitaires et médicaux dans ces installations. »
Des violences en augmentation
Depuis février de cette année, les mauvais traitements, les abus physiques et les violences à l'encontre des personnes détenues dans ces centres de détention n'ont cessé d'augmenter. En l'espace d'une semaine, les équipes MSF ont été les témoins directs et ont reçu des rapports sur au moins trois incidents violents ayant entraîné de graves dommages physiques et psychologiques.
Lors d'une visite le 17 juin au centre de détention de Mabani, où l'on estime qu'au moins 2 000 personnes sont détenues dans des cellules gravement surpeuplées, les équipes de MSF ont été témoins d'actes de violence perpétrés par les gardes, notamment le passage à tabac indiscriminé de personnes qui tentaient de quitter leur cellule pour être consultées par nos médecins.
L'équipe MSF a reçu des rapports faisant état de tensions accrues la nuit précédente qui ont culminé en violence de masse, laissant des migrants et des réfugiés ainsi que des gardes blessés. MSF a traité 19 patients souffrant de blessures causées par les coups, notamment des fractures, des coupures, des abrasions et des traumatismes contondants. Un enfant non-accompagné a été rendu incapable de marcher après avoir subi de graves blessures aux chevilles. D'autres ont parlé de violences physiques et verbales de la part des gardiens.
Plus tôt dans la même semaine, le 13 juin, des personnes détenues dans le centre de détention d'Abu Salim ont été victimes de tirs à l’arme automatique. Pendant les sept jours qui ont suivi l'incident, les équipes MSF se sont vu refuser l'accès au centre de détention, ce qui suscite des inquiétudes quant aux conséquences de l'absence de traitement pour les personnes souffrant de blessures potentiellement graves et pour les personnes gravement malades.
Des centres toujours plus surpeuplés
L'augmentation de la violence depuis le début de l'année 2021 va de pair avec une augmentation significative du nombre de réfugiés, de migrants et de demandeurs d'asile interceptés en mer par les garde-côtes libyens financés par l'UE, renvoyés de force en Libye et enfermés dans des centres de détention. Au 19 juin, plus de 14 000 personnes avaient été interceptées et renvoyées en Libye, dépassant le nombre total de retours forcés pour toute l'année 2020.
Cette augmentation entraîne une grave surpopulation et une détérioration des conditions déjà désespérées dans les centres. La plupart manquent de ventilation et de lumière naturelle ; certains sont tellement surpeuplés que jusqu'à quatre personnes se partagent un mètre carré d'espace - ce qui oblige les gens à se relayer pour s'allonger et dormir. Les personnes n'ont pas un accès régulier à l'eau potable et aux installations d'hygiène.
De plus, les migrants et les réfugiés ne reçoivent pas assez de nourriture, avec seulement un ou deux petits repas par jour, généralement un petit morceau de pain avec du fromage ou une assiette de macaroni à partager entre plusieurs personnes. Les médecins de MSF ont observé qu'avec le manque de nourriture, les gens utilisent parfois leurs médicaments pour gérer la faim. En raison du manque d'aliments nutritifs, certaines femmes sont incapables de produire du lait maternel pour nourrir leurs bébés. Une femme a confié aux équipes de MSF qu'elle était si désespérée de nourrir son bébé de cinq jours qu'elle a essayé de donner sa ration d'aliments solides à son enfant pour qu'il ne meure pas de faim.
Dans ces conditions inhumaines, les tensions se traduisent fréquemment par des éruptions de violence entre les gardes et les personnes détenues arbitrairement à l'intérieur.
MSF appelle à la fin de la violence et à l'amélioration des conditions de vie des réfugiés et migrants piégés dans les centres de détention de Mabani et d'Abu Salim. MSF réitère également son appel à la fin de la pratique de longue date de la détention arbitraire en Libye, et à l'évacuation immédiate de Libye des réfugiés, demandeurs d'asile et migrants exposés à des risques mortels - y compris ceux se trouvant dans les centres de détention.
« Nos collègues ont vu et entendu parler d'hommes, de femmes et d'enfants vulnérables, déjà détenus dans des conditions désespérées, soumis à de nouveaux abus » déclare Ellen van der Velden, responsable des opérations de MSF. « Aucune autre personne interceptée en mer par les garde-côtes libyens financés par l'UE ne doit être contrainte de retourner en Libye, dans des centres de détention. La violence dans ces centres doit cesser et toutes les personnes piégées dans ces conditions inhumaines doivent être libérées. »
© Guillaume Binet/Myop