Mario, 18 ans: «Si j'arrive aux USA, je veux être chef cuisinier»

20 novembre 2018, Tamaulipas, Mexique

Mexique5 min

Chaque année, un demi-million de personnes entrent au Mexique en provenance du Triangle du Nord (Guatemala, El Salvador, Honduras) d'Amérique centrale, une des régions les plus violentes du monde. MSF travaille dans des abris le long de la route depuis 2012, fournissant des soins médicaux et mentaux de base aux personnes qui sont entrées au Mexique. Nos équipes ont documenté de nombreux cas de déplacements violents, de persécutions, de violences sexuelles et de rapatriements forcés.

L’ampleur de la violence dans le Triangle du Nord  est proche de ce que l'on peut voir dans une zone de guerre. Elle commence dans les pays d'origine des migrants, les forçant à fuir, et se répète alors qu'ils traversent le Mexique. Là, ils deviennent la proie de réseaux criminels, souvent avec la complicité des autorités de l'État. Les migrants risquent d'être enlevés, extorqués, victimes de violences sexuelles, torturés et exécutés. Le périple de Mario*, 18 ans, en est la parfaite illustration. Parti du Honduras, il est victime pendant plusieurs jours de menaces, d'agressions et d'abus à différents points de la route migratoire mexicaine. Jusqu’à son arrivée dans le refuge MSF à Reynosa, au Mexique, il était en danger permanent.

Une fuite perpétuelle face à la violence.

L'arrivée au refuge a été un soulagement pour Mario, qui  luttait pour sa survie depuis des semaines, sur la route des États-Unis. Il n'a pas été blessé physiquement, mais a l'impression de l'avoir été. Avec un sourire nerveux, il nous dit qu'il a dû fuir le Honduras parce que les « Maras » ( NDR: gangs ) essayaient de le tuer. Il a quitté sa mère et a fui la violence avec une cousine, qu'il a perdu de vue pendant le voyage, juste avant de prendre le train à Tenosique, dans le sud du Mexique.

En distribuant de la nourriture aux migrants dans le refuge, Mario parle du moment où il a perdu le contact avec sa cousine : « C'était la nuit, nous ne pouvions pas prendre le train et avons dû attendre le lendemain matin. Soudain, des hommes sont apparus. Ils ont touché son visage et m'ont braqué une arme contre le bras.  Depuis, j’ai parfois l'impression qu'on m'a tiré dessus. »

Ils ont enlevé, puis violé ma cousine. Je me suis enfui jusqu'à pouvoir leur échapper complétement mais je n'ai pas été capable de la retrouver.

Mario, migrant hondurien de 18 ans

Mario nous raconte aussi comment des enfants les ont détroussés : « Tout d'un coup, ils ont sorti leurs armes et nous ont tout volé. » Eux-aussi souhaitaient passer aux Etats-Unis.

Un refuge pour se reconstruire.

Arrivé à Reynosa, il a réussi à convaincre un chauffeur de taxi de l'emmener de la gare routière jusqu’à l'abri. Il lui a menti, en disant qu'il était journaliste et non migrant : « Il me demandait constamment si j'étais d'un autre pays, alors je lui ai montré un carnet. J'ai dû le convaincre que j'allais faire quelques sondages là-bas ». Le chauffeur de taxi lui a ensuite avoué que si Mario avait admis être  un migrant, il l'aurait vendu à des criminels,  spécialisés dans les enlèvements à la frontière.

Depuis son arrivée au refuge, Mario cuisine au refuge, ce qui a calmé son anxiété et les traumatismes du voyage. Il dit désormais être passionné et vouloir créer sa propre entreprise de cuisine. Le menu d'aujourd'hui est : riz blanc, haricots et tamales. Quand d'autres migrants en demandent plus, il les ressert généreusement.

Après avoir fini de servir la nourriture, il se lave les mains et poursuit : « Il s'est passé beaucoup de choses. Je n'arrive toujours pas à croire que j'ai parcouru tout ce chemin jusqu'ici. Les premiers jours ont été difficiles ; j'étais triste et je ne savais pas quoi faire. Je me suis enfermé loin du monde extérieur. Puis j'ai pensé que je pourrais aider dans la cuisine. Maintenant, je m'occupe de préparer la nourriture pour tout le monde et de la servir. » 

Mario dit se sentir mieux, mais il ne sait pas comment il va se rendre aux Etats-Unis : « Avant d'arriver à Reynosa, j'ai travaillé dans un magasin de fleurs, mais la patronne a commencé à m’exploiter, avant de finalement me renvoyer. J'ai tout de même pu économiser de l'argent. J'attends maintenant que mon oncle, qui vit aux Etats-Unis, me dise quand je pourrais m’y rendre. Mais cela fait un moment que je n'ai pas eu de ses nouvelles. »

Un suivi en santé mentale salvateur

« J'ai parlé avec le psychologue de MSF car à mon arrivée, j’étais très nerveux. Ils m'ont expliqué que les choses que j'ai vécues, avant même de quitter mon pays, ont été néfastes pour ma santé mentale. Nous avons abordé différents sujets au cours de nos séances. Ce qu'il y a de mieux, c'est de pouvoir confier toutes ces choses à quelqu’un. Je n'avais jamais pu en parler à personne auparavant. Maintenant, je dors mieux et je me sens moins triste. Mais je sens toujours l'arme sur mon bras. Ce sentiment m'a marqué. C'est pourquoi je travaille sur mon état physique, même si je n'ai pas de blessures visibles ». 

La soirée est terminée et Mario nettoie les tables, dérangé uniquement par le bourdonnement des mouches, locatrices clandestines de la cuisine. Il aime passer son temps dans cette pièce,  car c’est ici qu’il pratique et  partage son amour de la cuisine. Si un jour il parvient à passer aux États-Unis, il veut travailler dans un restaurant et devenir un vrai chef.

* Le nom a été changé pour des raisons de sécurité.

MSF a un projet à Reynosa, Tamaulipas, Mexique, dont l'objectif est d'offrir des soins de santé complets, gratuits et confidentiels (soins mentaux, primaires et sociaux), en différents endroits de la ville. 

MSF dispose également d'une équipe mobile - un médecin, une infirmière et un psychologue - qui se rendent régulièrement dans différents centres de santé de la ville, ainsi que dans des refuges pour migrants et réfugiés, afin de fournir des soins médicaux et mentaux de qualité à la population.