République centrafricaine: “Les personnes qui sont restées à Zemio sont celles qui n’ont pas pu fuir”
© Josh Rosenstein/MSF
République centrafricaine (RCA)6 min
Les attaques récentes à Zemio, au sud-est de la République centrafricaine, ont fermé les portes de l’hôpital et forcé la population de la ville, y compris des membres du personnel MSF, à fuir. Le coordinateur médical Wil van Roekel parle des ramifications de la violence dont celle sur les 1600 patients VIH qui ont besoin de médicaments chaque jour pour survivre.
Quelle est la situation actuelle à Zemio?
Depuis les deux dernières semaines, Zemio est une ville fantôme. Presque tout le monde est parti, tous effrayés que des attaques supplémentaires aient lieu et que la ville se transforme en un champ de bataille entre différents groupes armés. En traversant la ville, vous apercevez des maisons brûlées et des magasins pillés.
Les personnes à Zemio ne sont pas habituées à un tel niveau de violence ni au fait d’être forcés de fuir sans avoir le temps d’élaborer un plan. Les attaques les ont pris par surprise. Quand les groupes armés sont arrivés, ils ont couru dans toutes les directions, laissant leurs casseroles encore sur le feu et les vêtements dans tous les coins. Les familles ont été séparées et les personnes ont perdu contact avec leurs proches.
Le risque d’être touché par balle dans les rues était si important que certaines personnes ont circulé d’un arbre à l’autre pour retrouver leurs proches. Un de nos membres du personnel local a dû attendre des jours à l’hôpital avant de pouvoir atteindre le camp de personnes déplacées, à 4km, où sa famille avait trouvé refuge.
Dans quelle mesure la violence a-t-elle affecté le travail de MSF à Zemio?
Le 11 juillet, après qu’un enfant a été touché par balle dans les bras de sa mère au sein de l’hôpital de Zemio, la majorité de l’équipe MSF a été évacuée. Mais beaucoup de nos membres de personnel local – hommes et femmes de Zemio- ont continué leur travail aussi longtemps qu’ils ont pu.
Le 18 août, des hommes armés ont à nouveau attaqué l’hôpital et ouvert le feu sur les 7000 personnes déplacées qui s’y étaient réfugiées. 11 personnes ont été tuées. Après cela, la plupart de la population de Zemio – y compris des membres de notre personnel et leurs familles- a fui.
Environ 10 000 personnes ont fui dans la brousse entourant la ville ou vers des endroits proches. 9 000 autres personnes ont franchi la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC) et y séjournent dans un camp de fortune qui se trouve dans une zone reculée, à deux jours de marche du village le plus proche. Les femmes enceintes doivent donner naissance dans la brousse. Il y a peu d’abris et de moustiquaires, ce qui augmente le risque de malaria, déjà important. Il n’y a pas d’eau potable ou d’assainissement et notre personnel local sur place est témoin de cas de diarrhée en augmentation.
Le mois dernier, nous avons pu faire de petites visites à Zemio, durant lesquelles nous avons évacué sept patients par avion. C’étaient les cas les plus sévères, principalement des blessures par balle. L’un des blessés était le fils d’un membre du personnel local de MSF qui a subi une opération chirurgicale dans la capitale, Bangui, et qui est maintenant guéri."
Quelles sont les personnes les plus affectées par la violence?
Les femmes et les enfants sont clairement les plus vulnérables. Une fille de 13 ans est arrivée à notre hôpital avec une blessure par balle au niveau de sa poitrine. Elle avait été blessée 10 jours auparavant dans une autre partie de la ville. Pour atteindre l’hôpital soutenu par MSF, elle et sa mère ont dû contourner la ville, passer par la RDC et ensuite revenir vers la RCA. J’ai été abasourdi qu’elle ait pu faire cela.
Nous avons pu l’aider mais il y a des milliers de personnes dans la même situation que cette petite fille, complètement abandonnées et sans aucun accès aux soins médicaux de base.
Dans quelle mesure la violence a-t-elle affecté le programme VIH de MSF à Zemio?
Notre programme VIH est basé sur la communauté, avec des patients divisés selon des groupes, certains vivent parfois jusqu’à 250km aux alentours. Une personne de chaque groupe visite notre clinique et collecte assez de médicaments antirétroviraux pour son groupe pour les trois prochains mois. Cela nous permet de soigner 1600 patients.
Après la première attaque, notre personnel local a essayé de maintenir le programme mais avec les hommes armés dans le voisinage de l’hôpital, c’est devenu trop risqué pour ces patients d’atteindre notre clinique et de collecter les médicaments.
Rapidement après la première attaque, notre hangar, qui contenait des réserves de médicaments pour six mois, a été pillé. Certains patients nous ont également raconté que les fournitures qu’ils gardaient à la maison avaient été brûlées. Depuis la dernière attaque, quand la plupart de la population a fui, nous avons perdu l’accès à tous ces patients et nous avons dû suspendre le programme.
Quels seront les effets sur nos patients de la suspension du programme VIH de MSF ?
Nos patients ont besoin de recommencer leur traitement le plus rapidement possible, mais c’est bien évidemment irréaliste dans la situation actuelle. Ils survivent probablement avec une nourriture minimale et sans aucun accès aux soins médicaux de base donc, leur état de santé risque de s’aggraver.
Sans antirétroviraux, ils risquent d’être infectés par les infections liées au VIH, comme la tuberculose, qui est également dangereuse pour les personnes qui ne sont pas VIH positives. La suspension du programme va clairement augmenter le nombre d’infections au sein de la communauté.
MSF peut-elle toujours travailler à Zemio?
En tant que MSF, nous sommes habitués à travailler dans des zones de conflit, dans des circonstances difficiles. Mais maintenant, l’opportunité d’apporter notre aide humanitaire à Zemio est proche de zéro. La population est passée de 21 000 à 2000 habitants. Les seules personnes qui sont restées sont celles qui n’ont pas pu fuir, les personnes âgées et les personnes handicapées ainsi que les personnes coincées dans le quartier musulman, entourées de factions armées qui se battent.
À Zemio, les groupes armés ne respectent plus les travailleurs humanitaires et ne se soucient pas des valeurs ou de l’impartialité et la neutralité de MSF. Il y a énormément de personnes à risque – certaines blessées et toutes en difficulté- que nous ne savons pas atteindre et soigner.
L’hôpital de Zemio est désert parce qu’il n’est plus considéré comme un endroit sûr. Mais le personnel MSF continue de travailler- ils vont dans la brousse, emportent des médicaments dans des sacs à dos, essayant d’apporter leur soutien aux personnes qui s’y cachent. Nous prévoyons également de prodiguer des soins médicaux de l’autre côté de la frontière, en RDC. Ces personnes ne doivent pas être abandonnées.
MSF soutient l’hôpital de Zemio depuis 2010, avec une concentration récente sur le programme VIH et sur les activités de sensibilisation, comprenant le soutien à deux postes de santé et deux points de la malaria. MSF prodigue des soins médicaux gratuits aux communautés à travers la République centrafricaine, sans tenir compte de leur race, ethnie, religion ou affiliation politique.
© Josh Rosenstein/MSF