Sud-Soudan: La recherche de soins implique parfois de grands enjeux
© Christina Simons
Soudan du Sud4 min
Depuis février, des milliers de personnes sont déplacées à cause des flambées de violence dans la zone administrative spéciale d’Abyei. Maarten Bullens était sur place en août dernier pour aider les équipes à accroître l’assistances aux populations qui ont trouvé refuge dans les camps informels ou chez les communautés locales dans la ville d’Abyei.
Il est 6h, il pleut à torrent, et nous nous apprêtons à prendre la route. Cela ne va pas être une partie de plaisir, car au Soudan du Sud, les routes sont en terre, et quand c’est la saison des pluies, le sol se transforme en boue, et nos voitures s’enfoncent. A chaque 150 mètres, nous devons descendre et aider à pousser pour se désembourber. Les heures défilent, nous ne voyons pas le bout de ce trajet.
Cinq heures plus tard, nous arrivons enfin sur la piste de décollage. Un petit avion nous attend, un vol de trente minutes direction Agok.
Une fois atterris, nous reprenons une voiture avec Makuei Duop Deng, le soutien au chef de mission, pour rejoindre l’hôpital que nous avons dû abandonner quand les violences ont éclaté en février dans la ville et que les populations ont fui. On nous avait dit que des gens étaient revenus dans la ville, mais nous n’en étions pas sûrs, nous voulions aller vérifier. Il est 11h30, nous rencontrons les différents responsables communautaires et les familles qui vivent dans cette ville encore un peu fantôme. L’une d’elles, au courant que des membres du personnel MSF sont présents ce jour-là, viennent chercher de l’aide.
C’est ainsi que je rencontre Hoth, un garçon auquel je donnerais cinq ou six ans. En réalité, il en a sept, mais étant malnutri, il fait plus petit que son âge. Pourtant, ce n’est pas pour la malnutrition que la famille cherche une prise en charge, mais parce que Hoth a une brulure au bras gauche et au thorax qui remonte à un mois en arrière. Mais faute d’hôpital disponible dans la région, le plus proche étant celui que nous soutenons à Abyei, il n’a pu recevoir que des soins de médecine traditionnelle qui ne l’ont pas guéri, son bras est maintenant infecté et il a perdu l’usage de sa main.
Au fil de la discussion, j’apprends que le paludisme qu’il a contracté à l’âge de deux ans a laissé des dommages cérébraux irréversibles, il ne reconnait plus les membres de sa famille et il souffre désormais de crises de convulsions régulières. C’est lors de l’une d’elles qu’il est tombé dans le feu au-dessus duquel cuisait le repas. La situation est complexe, car nous ne sommes pas venus à Agok pour évacuer ou transporter des patient·e·s, mais bien pour évaluer la situation sanitaire sur place. Néanmoins, je suis touché par la détresse de cette famille et, en tant que soignant, je ne peux pas laisser un patient dans cet état sans soin. Toutefois, emmener un enfant et un proche aidant dans une structure sanitaire à des dizaines de kilomètres ne va pas de soi et implique de grandes conséquences pour la famille et la communauté. Il faut mettre beaucoup de choses dans la balance, notamment, si on peut assurer le transport aller, ce n’est pas dit que l’on puisse faire le trajet retour, et dans des environnements instables où la sécurité est volatile, les inondations récurrentes et les moyens de communication limités, le choix de partir, même pour des raisons de santé évidentes, n’est pas facile.
Après discussions, avec la famille et les représentants de la communauté, la décision est prise, et nous nous préparons à repartir avec Hoth et sa mère, le père restant avec les autres enfants. Dans cette communauté, il n’y a que quelques téléphones mobiles. Ce jour-là, l’un d’eux est confié à la maman, afin qu’elle puisse rester un peu en contact.
C’est à travers des histoires comme celle-ci que l’on mesure à quel point chercher des soins implique parfois de grands sacrifices pour les familles.
14h, nous voilà partis. Le trajet retour est pire que ce matin, car Hoth est sa mère prennent la voiture pour la première fois, ils ne sont pas rassurés et ont le mal des transports. En plus des arrêts forcés à cause de la boue, nous faisons des étapes supplémentaires pour leur permettre de respirer. Ces heures en route nous ont paru interminables. A 20h, quand nous sommes enfin arrivés à l’hôpital Ameth-Bek, à Abyei, Hoth a tout de suite été pris en charge.
Le lendemain, je retrouve le petit garçon, un bandage autour du bras, pour garantir que la plaie nettoyée la veille ne se réinfecte pas. Je retrouve aussi un sourire sur son visage et celui de sa mère. Dans un moment comme celui-ci, on se dit que malgré les réalités dramatiques auxquelles nous sommes confrontés au quotidien, on continue de faire ce métier d’humanitaire, pour que, sur les visages des patient·e·s et de leurs proches, l’inquiétude laisse place aux sourires et à la guérison.
© Christina Simons