Syrie: «le conflit est une source permanente de peur et d'anxiété»

Nous aidons de nombreux déplacés qui ont fui des régions où le conflit était plus intense.

4 min

Entretien avec Katrin Kisswani, qui a dirigé les activités de MSF dans le nord de la Syrie pendant deux mois.

«Nous travaillions principalement au nord du gouvernorat d'Idlib, dans la région de Jabal Al-Akrad, qui est assez montagneuse et proche de la frontière turque. Même si les combats y sont moins fréquents et intenses que dans le centre du pays, la situation est extrêmement instable et dangereuse.

Attaques d'hélicoptères

Dans certains villages, les tirs de roquettes et les attaques d'hélicoptères qui larguent des barils remplis d’explosifs et de pièces métalliques sont presque quotidiens. L’impact sur la population locale est dévastateur: les blessures dues à des éclats d’obus ou à des chutes de débris dans les maisons qui s’écroulent sont monnaie courante.
Les villages sont situés dans une jolie région montagneuse et, par beau temps, la vue sur les montagnes est magnifique. Mais cette beauté est souvent de courte durée, car un ciel dégagé signifie que les hélicoptères ne sont jamais bien loin. Il est arrivé que plusieurs barils tombent au centre de villages peuplés et nous avons donc dû prendre en charge des blessés, dont des femmes et des enfants, dans notre hôpital de campagne. L’un d’entre eux était mort à son arrivée, d’autres avaient besoin d’une intervention chirurgicale, certains souffraient de blessures internes et une femme âgée a dû être amputée du pied en raison de la gravité de sa blessure causée par un éclat d’obus.

Panique

Même lorsqu’ils ne larguent pas de bombes, ces hélicoptères causent de nombreuses blessures en raison de la peur qu’ils génèrent. Quand ils entendent un hélicoptère, les villageois paniquent, ce qui entraîne des accidents de circulation. Il arrive que des motards foncent dans des voitures ou des murs. Une fois, nous avons traité un enfant qui était sur le toit de sa maison quand il a entendu les hélicoptères arriver. Il a eu si peur qu’il a sauté du toit, à plusieurs mètres de hauteur. Il est arrivé chez nous avec une commotion et des difficultés respiratoires mais, heureusement, nous avons pu le sauver.

Vagues de patients

Lors des affrontements ou des attaques, les patients arrivent souvent par vagues. Nous ne savons jamais si c’est le début d’un événement qui fera de nombreuses victimes et donc si d’autres blessés vont arriver et combien ou si la situation va se calmer. Nous devons donc faire des choix difficiles: commencer à opérer un patient en espérant qu’aucun blessé plus grave n’arrive ou le faire attendre pour nous préparer à la prochaine vague – qui pourrait ne jamais arriver? Il est très difficile d’obtenir des informations claires sur la situation. Voilà le genre de dilemmes auxquels nous sommes confrontés. Mais c’est le propre des interventions d’urgence dans ce type de contexte.
Le conflit est une source permanente de peur et d’anxiété pour les villageois. Nous aidons de nombreux déplacés qui ont fui des régions où le conflit était plus intense. Pour eux, mener une vie normale – avoir de la nourriture, des combustibles ou de l’eau, envoyer ses enfants à l'école, avoir une vision claire de son avenir – n’est plus possible. Certains enfants souffrent de dépression et sont incapables de manger ou de dormir. Beaucoup de personnes ne peuvent même pas subvenir à leurs besoins essentiels. Nous avons pu distribuer des couvertures, du matériel d’hygiène et des bidons pour collecter l’eau et nous organisons des cliniques mobiles.

Un système de soins de santé en ruine

Nous nous occupons régulièrement de problèmes de santé primaire basiques et de maladies chroniques – hypertension, maladie cardiaque, asthme, diabète, etc. – qui s’aggravent car le système de santé syrien s'est effondré. Nous avons eu un patient qui avait le cancer et était censé suivre une chimiothérapie. Il était déjà en phase terminale quand il est venu nous voir. Nous avons seulement pu soulager ses douleurs. Les problèmes en matière de santé maternelle sont aussi énormes. Les femmes enceintes n’ont tout simplement nulle part où aller et sont contraintes d’accoucher à domicile. Si elles ont de la chance, elles trouveront une sage-femme ou une accoucheuse traditionnelle pour les aider. Ces cas sont de plus en plus nombreux. Nous prenons en charge les accouchements normaux et réalisons des césariennes si nécessaire.
Si nous ne sommes pas en mesure de traiter une urgence ou un cas particulier, nous transférons le patient dans un hôpital en Turquie et arrangeons son transport, ce qui peut se révéler très compliqué.»