Syrie: «il est difficile d’être confronté à des blessures aussi horribles»
© Brigitte Breuillac/MSF
4 min
Une infirmière qui a travaillé dans l’hôpital mis en place par MSF en Syrie raconte son expérience.
Infirmière australienne, Ruth Priestley a récemment travaillé neuf semaines dans le bloc opératoire de l’hôpital installé à l’intérieur de la Syrie par Médecins Sans Frontières (MSF) avec l’aide de l’Union des organisations syriennes de secours médicaux. Depuis l’ouverture de cette structure à la mi-juin, plus de 1 100 patients ont été soignés et plus de 260 interventions chirurgicales ont été pratiquées.
De quoi souffraient les patients que vous avez soignés?
Les patients étaient essentiellement des blessés de guerre, victimes de blessures par balle ou d’explosions. Nous avons pratiqué beaucoup d’opérations orthopédiques et de laparotomies (des explorations abdominales). Nous avons été confrontés à des blessures vitales qui nécessitaient des opérations lourdes.
Y a-t-il eu des patients qui vous ont particulièrement marqué?
Un jeune homme avait subi neuf opérations sur les 29 premières interventions que nous ayons faites. Ses blessures avaient nécessité une amputation trans-pelvienne. Il est revenu régulièrement pour subir des opérations. Finalement, nous avons pu refermer sa plaie et il a quitté l’hôpital. Après, il est revenu en marchant avec des béquilles, accompagné de son frère. Tous les deux avaient un grand sourire. Ils étaient ravis de tous nous voir. Quelques semaines plus tard, nous avons appris que ce jeune homme avait été tué dans un bombardement à Alep. Nous avons été anéantis.
Un jour, nous avons reçu sept enfants en même temps. Une bombe était tombée sur le marché d’une ville voisine. Il y avait une fillette de neuf ans qui avait une éviscération et les deux jambes blessées. Nous avons fait une opération à l’abdomen et avons dû amputer une jambe. Puis nous avons programmé les passages suivants au bloc pour ses pansements et la fermeture des plaies en fonction de ce que son petit corps pouvait supporter comme anesthésie. Deux de ses sœurs et quatre de ses cousins ont péri dans le même bombardement.
Comment faisiez-vous face à ce genre de situation?
Il est difficile d’être confronté à des blessures aussi horribles. Mais, comme n’importe quel soignant, vous continuez en sachant que vous devez vous occuper des patients et non pas de vos propres réactions. Je n’oublie jamais que je suis dans une situation différente, car je peux rentrer chez moi.
Voir chaque jour la réalité de la guerre et de ses dégâts, tous ces blessés, ces mutilés à vie... cela vous met en colère et vous attriste profondément. Quand le marché a été bombardé, il s’agissait de civils. Vous ressentez de la rage.
Comment les choses ont évolué pendant votre mission?
Quand je suis arrivée, nous étions débordés. Nous n’arrêtions pas de travailler, jour et nuit, nous savions à peine s’il était 3 heures du matin ou 3 heures de l’après-midi. Je devais écrire la date et l’heure sur le tableau, simplement pour me recentrer. Au bout d’une vingtaine de jours, j’avais l’impression d’être passée dans une essoreuse et d’en être ressortie juste le temps qu’il fallait pour reprendre ma respiration.
La situation s’est ensuite calmée?
La population du village où nous sommes a beaucoup augmenté, car les gens fuyaient les zones de combats. La plupart des maisons, si ce n’est toutes, accueillaient plusieurs familles. Un grand nombre d’entre elles campaient aussi dans l’une des écoles. D’autres étaient installées sous des oliviers à la frontière, en attendant de pouvoir passer de l’autre côté. A cause de cela, nous avons commencé à recevoir des patients qui avaient besoin de recevoir des soins de santé primaire, qui souffraient notamment de maladies chroniques et de diarrhée.
Des incidents de sécurité se sont-ils produits?
Il y a eu des moments où nous étions en état d’alerte, prêts à évacuer, nous et les patients les plus gravement atteints. Le chirurgien devait évaluer le temps qu’il faudrait réaliser certains actes de manière à décider si nous pouvions terminer avant de devoir évacuer. C’étaient des décisions difficiles à prendre.
© Brigitte Breuillac/MSF