Médecins Sans Frontières se retire de Dasht-e-Barchi suite au massacre dans sa maternité

Dasht-e-Barchi, Kaboul, Afghanistan, 09 décembre 2019

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Médecins Sans Frontières (MSF) a annoncé aujourd'hui sa décision de mettre fin à ses activités et de se retirer de Dasht-e-Barchi à Kaboul, suite à l'attaque brutale du 12 mai dernier au cours de laquelle 16 mères (dont cinq sur le point de mettre leur bébé au monde) ont été tuées de sang-froid.

Cette décision a été prise sachant que, bien qu'aucune information n'ait émergé sur les auteurs et le motif de la tuerie, les mères, les bébés et le personnel de santé ont été délibérément visés et que des attaques similaires pourraient se reproduire à l'avenir. En plus des 16 femmes enceintes, une sage-femme travaillant pour l'organisation, deux enfants âgés de 7 et 8 ans et six autres personnes présentes au moment de l'assaut ont également perdu la vie. 

Partir comme seul moyen de se protéger

Un mois après le drame, nous savons très peu de choses car l’attaque n'a toujours pas été revendiquée. Les autorités afghanes ont accusé les Talibans - ou l'Émirat islamique d'Afghanistan - qui ont réfuté et condamné l'accusation tandis que le gouvernement des Etats-Unis a pointé publiquement le groupe Etat islamique au Khorasan. Bien que nous ne sachions pas qui sont les perpétrateurs, nous savons que la maternité a été la cible d'une attaque abjecte visant ses patients, son personnel de santé et notre activité humanitaire.  Ce massacre ne peut être considéré comme un incident tragique et isolé : la population Hazara vivant dans la zone a fait l'objet d'attaques répétées, tout comme diverses organisations d'aide.

« Nous étions conscients que notre présence à Dasht-e-Barchi comportait des risques, mais nous ne pouvions pas croire que quelqu'un profiterait de la vulnérabilité absolue des femmes sur le point d'accoucher pour les exterminer, elles et leurs bébés », déclare Thierry Allafort-Duverger, directeur général de l'organisation humanitaire internationale. « Mais c'est arrivé. Aujourd'hui, nous devons accepter la réalité : des murs plus hauts et des portes de sécurité plus épaisses n'empêcheront pas de tels actes de se reproduire. Rester signifierait que nous devons considérer les pertes de vies humaines comme un paramètre de notre activité, ce qui est inconcevable ».

Dasht-e-Barchi, Kaboul, Afghanistan, 10 décembre 2019

Vue de la chambre post-partum. Les femmes y restaient environ 6 heures en moyenne, lorsqu'elles n’étaient pas confrontées à des complications. La photo date de décembre 2019, quelques mois avant la terrible attaque.

© Sandra Calligaro

La décision a été communiquée à notre personnel, aux autorités sanitaires nationales et autres partenaires. Notre préoccupation est de continuer à fournir le soutien nécessaire à notre personnel, y compris une assistance psychologique. MSF étudie également les moyens de soutenir les familles des patients tués à la maternité. L'organisation explorera aussi les possibilités d’appui aux initiatives locales visant à améliorer l'accès aux soins de santé.

La fin des activités de MSF dans la maternité de Dasht-e-Barchi est une décision nécessaire mais douloureuse, lourde de conséquences pour plus d'un million de personnes qui vivent dans la zone. La plupart d'entre elles sont issues de la communauté Hazara, historiquement marginalisée et pauvre, dont beaucoup de membres ont été déplacés par des décennies de conflit. Avec près de 16 000 accouchements en 2019, la maternité de Dasht-e-Barchi était l'un des plus grands projets de ce type de MSF dans le monde. En forçant la fermeture de l'activité de MSF dans l'hôpital, les assaillants ont également privé les femmes et les bébés d’accès aux soins médicaux essentiels dans un pays où la mortalité maternelle et néo-natale reste élevée.

Depuis le 2004, plus de 70 membres du personnel de MSF et patients admis dans les programmes de soins de santé de MSF ont été tués en Afghanistan. Ce bilan inclut le meurtre de cinq employés dans la province de Badghis en 2004 et la destruction de l’hôpital MSF de Kunduz par l'armée de l'air américaine en octobre 2015, qui a fait 42 morts.

MSF travaillait à Dasht-e-Barchi en collaboration avec le ministère de la Santé publique depuis novembre 2014, offrant des soins de maternité et néonataux gratuits dans l'une des zones les plus densément peuplées de Kaboul. L'hôpital offrait un service 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour les accouchements compliqués, ainsi qu'un réseau de référencement vers et depuis d'autres maternités des environs. En 2019, près de 16000 bébés sont nés à l'hôpital.

MSF continue de mener des programmes médicaux dans les provinces afghanes de Helmand, Herat, Kandahar, Khost et Kunduz, avec des activités couvrant un large éventail de soins de santé. MSF a commencé à travailler dans le pays en 1980.