Journée mondiale de la santé mentale: «la guérison du corps ne peut se faire sans santé mentale»
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A l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre prochain, nous avons posé quelques questions sur les spécificités de la santé mentale dans les contextes humanitaires à Marcos Moyano, référent santé mentale MSF.
Quelles sont les spécificités de l’offre de soin de santé mentale dans des contextes humanitaires ?
Il y a de nombreuses particularités, l'une d'entre elles étant les besoins importants en matière de santé mentale que nous trouvons dans ces environnements, généralement allant de pair avec l'impossibilité d'accéder à des soins de qualité. Certes, il existe des traitements efficaces pour les troubles de la santé mentale. Mais dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, moins de 10 % de la population les nécessitant reçoit un traitement adéquat. C'est pourquoi les personnes atteintes de troubles mentaux représentent l'une des populations les plus marginalisées et les plus vulnérables au monde. La Journée mondiale de la santé mentale est l'occasion de souligner l'énorme manque qui existe encore en matière d'accès à des traitements de qualité dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et la nécessité d'investir davantage dans ce domaine. Dans les contextes où nous travaillons, comme il n'y a presque pas de soignants dans ce domaine, les organisations comme la nôtre doivent créer leurs propres programmes de santé mentale et développer et fournir les services par elles-mêmes ou en collaboration avec d'autres. Et il ne s'agit pas seulement de répondre aux besoins en santé mentale, nous devons prendre en considération les besoins globaux et l'ensemble des pathologies médicales, car nous savons tous que la guérison du corps ne peut se faire sans santé mentale et vice versa. La santé physique et la santé mentale sont comme les deux faces d'une même pièce.
Et concrètement, quels sont les différents types de soins de santé mentale proposés par MSF ?
Il est important de garder à l'esprit qu'il existe différentes cultures, différentes sociétés, et que les soins de santé mentale doivent donc être adaptés et approuvés localement, et ce, même s’il existe des interventions qui sont généralement appliquées en fonction des divers types de contextes. En règle générale, il existe plusieurs niveaux et types d'interventions en santé mentale. C'est ce qu'on appelle santé mentale et soutien psychosocial. Certains soutiens peuvent être fournis par des travailleurs communautaires ou par un personnel de santé mentale formé mais non spécialisé. Par exemple, une séance de sensibilisation sur ce qu'est la dépression. Et puis il y a les interventions qui seront menées par des spécialistes en santé mentale tels que des conseillers formés, des psychologues, des psychiatres ou des médecins formés qui peuvent fournir des soins psychiatriques de base. Je pense qu'être capable de déployer rapidement des soins spécialisés de santé mentale est l'une de nos particularités. Dans tous les cas, nous nous concentrons sur ce que le patient ou la patiente cherche à atteindre avec un soutien en santé mentale, et sur ce dont il ou elle a besoin de notre point de vue. Par exemple, pour quelqu’un qui a survécu à des incidents violents : faire face à ce qui s'est passé. Ainsi, les soins de santé mentale dépendent vraiment du contexte et des besoins des populations, mais aussi des besoins spécifiques de ce patient ou cette patiente. Le soutien peut alors être fourni dans le cadre d'une session de groupe, d'une session de soutien par les parrains ou en consultation individuelle. Et ce sont différents types de professionnel fonction des divers besoins. A noter que l'année dernière, MSF a fourni 349 500 consultations individuelles en santé mentale, ce qui représente une empreinte considérable en termes d’offre de soins en santé mentale dans le monde.
As-tu un exemple personnel d'un contexte actuel ?
J'ai récemment visité nos projets d'Athènes et de Samos, en Grèce, où, grâce à nos psychothérapeutes cliniques et à nos psychiatres, nous apportons un soutien spécialisé en santé mentale aux réfugiés, aux migrants et aux demandeurs d'asile. Les personnes que nous aidons viennent de la République démocratique du Congo, la Syrie, l'Afghanistan ou le Yémen. La plupart d'entre elles, sinon toutes, ont été exposées à plusieurs événements traumatisants dans leur pays d'origine (par exemple, guerre, enlèvement, torture), mais aussi sur la route migratoire (par exemple, violence physique). Et elles sont bloquées en Grèce, vivant dans des situations très précaires sans que leurs besoins fondamentaux ne soient couverts. Elles continuent d’être exposées à davantage de violence et de facteurs de stress. Les personnes que nous soutenons dans le cadre de ces programmes ont bien sûr leur résilience et leurs mécanismes d'adaptation, mais, avec toutes les souffrances auxquelles elles ont été exposées, elles présentent généralement un niveau de besoins en santé mentale parmi les plus élevés que nous ayons jamais vus. Et pourtant, il existe très peu de soignants qui leur fournissent des soins spécialisés. Nous espérons voir d'autres acteurs s'engager pour fournir ces services médicaux indispensables.
Quels sont les défis liés au contexte et à la réalité des populations que nous aidons ?
La principale difficulté est le manque de services disponible en santé mentale, comme mentionné ci-dessus. Je pense que l'autre difficulté est que, encore une fois, la santé mentale n'est pas une composante distincte des autres aspect de la vie. Dans la plupart des situations, les besoins fondamentaux des populations - nourriture, eau, abri, sécurité - ne sont pas couverts. Et nous savons que les besoins de chacun sont bien-être physique et un environnement sûr pour le bien-être mental. Mais en tant qu'organisation médicale, nous ne pouvons pas toujours avoir un impact sur toutes les facettes de leur réalité.
En ce qui concerne la stigmatisation et les tabous qui peuvent être très répandus dans les contextes où MSF travaille, comment les équipes s'attaquent-elles à ces obstacles dans l'accès à un soutien psychologique ?
En principe, nous organisons des séances de sensibilisation en santé mentale pour lutter contre les tabous et la stigmatisation, et nous faisons de la santé mentale un sujet de discussion de groupe. Nous faisons de même au niveau communautaire et pour la population en général. Nous organisons également des formations pour sensibiliser les gens, notamment le personnel de santé, mais aussi les responsables communautaires ou les enseignants. Nous savons que cela permettra de commencer à remédier aux jugements erronés sur la santé mentale, mais aussi de les aider à développer davantage leurs connaissances et leurs capacités à faire face. Cela les aidera à identifier les personnes qui ont besoin de soutien. Lorsque les personnes qui reçoivent des soins commencent à voir leur état mental aller vers le mieux, cela contribue aussi à dépasser la stigmatisation et la souffrance que nous voyons normalement dans le contexte dans lequel nous travaillons. Ces actions combinées créent lentement un espace pour parler ouvertement des problèmes de santé mentale et d’accéder aux services adéquat. Enfin, il est essentiel d'avoir un service qui fournit des soins efficaces aux gens, ce qui aura un impact sur leur pathologie.
Comment les soins de santé mentale ont-ils évolué au fil des ans ? Et qu'en est-il des années à venir ?
Au cours des 10 dernières années, des progrès considérables ont été réalisés en termes de sensibilisation aux besoins de santé mentale et au manque de soins de qualité. Aujourd'hui, les gouvernements, les donateurs et, plus généralement, la communauté internationale sont beaucoup plus sensibles à ces sujets. C'est pourquoi, cette année, la campagne de l'Organisation mondiale de la santé sur la santé mentale s'intitule « Faisons des soins de santé mentale pour tous une réalité ». L'accent est mis non seulement sur les lacunes qui subsistent dans l'accès à des soins de qualité, mais aussi sur les efforts et les progrès accomplis par différents pays. Avec la pandémie de Covid-19, la santé mentale a été largement reconnue comme un aspect essentiel du bien-être de la population et, par conséquent, des investissements ont été réalisés pour soutenir et développer l'offre de services en santé mentale. Dans ce sens, nous avons été témoins de nombreuses innovations dans le domaine des « soins à distance », ce qui nous rend très optimistes quant à l'accessibilité des soins pour les populations vulnérables à l'avenir.
Pour le futur, je pense que nous continuerons à rencontrer d'énormes niveaux de souffrance humaine liés à des catastrophes naturelles ou des catastrophes d'origine humaine qui mettront à l'épreuve la capacité des gouvernements et des organisations à fournir une réponse efficace. En revanche, la résilience des communautés et les capacités des organisations locales et des bénévoles joueront un rôle clé dans la protection et le soutien des personnes dans le besoin.
Pour conclure ?
Je tiens à souligner les valeurs humanitaires, le professionnalisme et les initiatives inspirantes déployés chaque jour par notre personnel de santé mentale à travers le monde. Grâce à chacune et chacun d’eux, nous sommes en mesure de fournir des soins si précieux aux personnes dans le besoin.
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