Ouganda: après avoir fui la RDC, les réfugiés font face à une épidémie de choléra
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En décembre 2017, des violences entre les communautés ont éclaté dans la province de l'Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). Cela s'est intensifié en février, avec des combats dans le territoire de Djugu. Des maisons ont été incendiées, des personnes ont été tuées et des dizaines de milliers d'autres ont fui leurs maisons en quête de sécurité.
Beaucoup de déplacés ont pris le chemin du sud vers Bunia, tandis que d'autres se sont dirigées vers le nord pour Mahagi. Nombre d’entre eux restent toutefois dans des zones encore inaccessibles aux organisations humanitaires. Au cours des deux dernières semaines, plus de 40 000 Congolais ont payé la traversée du lac Albert pour rejoindre l’Ouganda. Ils ont trouvé à leur arrivée des conditions désastreuses, avec les structures en place pour les accueillir débordées par l’afflux. Dans le district de Hoima où la plupart des réfugiés sont arrivés, les autorités sanitaires ougandaises ont confirmé le 23 février une épidémie de choléra affectant les communautés déplacées et locales. Médecins Sans Frontières (MSF) travaille sur les deux rives du lac et offre une assistance médicale humanitaire à ceux qui en ont besoin.
Ce qu’il se passe en Ituri (province de la RDC)
Selon les estimations du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA), à la mi-février, autour de 20 000 personnes avaient trouvé refuge dans la ville de Bunia. La plupart d'entre elles vivent dans des familles d’accueil, tandis qu'environ 2 000 sont regroupés dans un site temporaire au sein de l'hôpital régional. MSF renforce les soins de santé de base dans trois centres de santé de la ville de Bunia, Bigo, Kindia et Lembabo, et aide à référer les cas graves vers deux hôpitaux voisins. Au cours des deux dernières semaines, les équipes MSF ont soigné 2 117 patients en consultation ambulatoire, dont 783 enfants de moins de cinq ans et 349 femmes enceintes. Les principales maladies observées sont le paludisme, les infections respiratoires et la diarrhée. Les équipes dispensent également des consultations en santé mentale, car les personnes arrivant à Bunia sont traumatisées par la violence dont elles ont été témoins ou victimes. Certaines ont tout perdu dans leur fuite. Il y a aussi des enfants non accompagnés.
« La plupart des déplacés en Ituri vivent dans des familles d'accueil, mais certains se réfugient dans des écoles, des églises ou de petits campements informels. A Bunia, beaucoup sont des femmes et des enfants qui dépendent totalement de l'aide pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, comme la nourriture et l'eau. Nous savons que beaucoup de personnes déplacées sont dans des zones encore inaccessibles à cause de l'insécurité, et tous les efforts doivent être faits pour leur apporter l'aide dont ils ont désespérément besoin », déclare Florent Uzzeni, coordinateur d'urgence en RDC.
MSF a débuté des travaux d’assainissement sur le site de l'hôpital, y compris l'installation d'un système d'approvisionnement en eau et la construction de 20 latrines et de dix douches. Les équipes ont distribué 1200 kits de biens de première nécessité tels que des couvertures et du savon et continuent de soutenir la distribution de produits alimentaires aux déplacés tels que la farine, le sel et le riz.
Une équipe est également présente à Mahagi, plus au nord, où des missions exploratoires sont en cours. Dans les zones difficiles d’accès telles que Drodro, MSF a effectué des donations de médicaments et d'équipements, ainsi que des kits pour soigner les blessés. Étant donné que très peu d'aide atteint réellement ces personnes, bon nombre d'entre elles se dirigent progressivement vers le nord à la recherche de nourriture, de soins médicaux et d'un abri.
La traversée du lac Albert
L’une des conséquences de ces violences en Ituri est que, depuis le début du mois de janvier, plus de 42 000 réfugiés congolais selon le HCR ont débarqué sur les côtes ougandaises pour échapper aux attaques, s’entassant dans des barques de pêche et des canots surpeuplés pour traverser le lac Albert. Le voyage pour atteindre l'Ouganda prend entre six et dix heures, et il a été rapporté que des réfugiés se sont noyés après que leur barque a chaviré. « Les nouveaux arrivants nous parlent d'attaques pendant la nuit. Un petit nombre d'entre eux ont des plaies et des coupures profondes. Beaucoup arrivent traumatisés et épuisés, avec des enfants malades. Ceux qui utilisaient de petits canots ont parfois dû pagayer pendant près de trois jours pour arriver en sécurité ici », explique Ahmad Mahat, coordinateur MSF en Ouganda.
Ce qu’il se passe en Ouganda (district de Hoima)
Les réfugiés accostent à Sebarogo, un petit village de pêcheurs du district de Hoima en bordure du lac, équipé d'un débarcadère. Le site a rapidement dépassé ses limites à la mi-février, alors qu’au plus fort de l'afflux actuel de réfugiés, jusqu’à 3 000 personnes accostaient chaque jour. Aujourd’hui le nombre d’arrivées quotidiennes a diminué, avec quelques centaines de personnes par jour, en partie en raison des conditions climatiques et des prix prohibitifs de la traversée. Les nouveaux arrivants quittent rapidement Sebarogo pour le centre de réception de Kagoma, géré par les autorités et ses partenaires, où ils attendent un enregistrement et une première aide avant de s'installer dans un camp de réfugiés, principalement à Maratatu et dans d'autres camps du centre et de l’ouest ougandais. Cependant, le transport par autobus et le système d'enregistrement ont été tellement débordés en février que les réfugiés sont restés sur place pendant plusieurs jours – jusqu' à une semaine – avec quasiment aucune aide, pas de latrines et pas d'accès à l'eau, hormis l’eau du lac. Certains sont allés dans la ville de Sebarogo pour rejoindre des parents et des familles d'accueil.
Le centre de réception de Kagoma et le camp de Marutatu ne peuvent actuellement pas faire face à l'afflux de réfugiés. Les nouveaux arrivants, rendus déjà vulnérables par leur fuite et les violences subies en Ituri, finissent par dormir dehors, exposés aux pluies qui ont commencé, avec un accès inadéquat à l'eau et à la nourriture, dans des conditions d'hygiène et d'assainissement déplorables. Les autorités sanitaires ont récemment confirmé une épidémie de choléra dans la région, avec plus de 1 000 cas sévères nécessitant une hospitalisation, dont au moins 30 décès depuis la mi-février.
« Avec une tendance à la hausse des cas de choléra et un taux de mortalité très élevé, la situation est extrêmement alarmante. En plus des centres spécialisés dans le traitement du choléra, nous intensifions notre intervention le plus rapidement possible, en installant une station d'épuration des eaux sur le site du débarcadère de Sebagoro pour améliorer l'accès des réfugiés et des communautés hôtes à l'eau potable, en mettant en place une surveillance, des points de réhydratation orale, des camions d'eau et en construisant des latrines supplémentaires, explique Mahat. Mais pour contrôler cette épidémie fatale et protéger ceux qui sont le plus à risque, il est extrêmement urgent de mener une campagne de vaccination contre le choléra dans les prochains jours. Cela devrait faire partie de la réponse classique dans une épidémie de ce type. Après discussions avec plusieurs acteurs de la santé mondiale, un stock de vaccins a été mis à disposition pour cette campagne d’urgence. MSF se tient prêt à intervenir et soutenir le ministère de la Santé ougandais dès que leur feu vert est donné », poursuit Mahat.
A Sebarogo, les équipes MSF ont mis en place un centre de traitement du choléra (CTC) de 50 lits dans le centre de santé de la ville, qu'elles soutiennent également avec du matériel et des ressources supplémentaires. Elles gèrent aussi une clinique sur la zone du débarcadère qui permet d’identifier et de référer les cas les plus urgents vers le centre de santé le plus proche. MSF a également ouvert un CTC de 50 lits dans le centre de santé de Kasonga, à proximité du centre de réception de Kagoma. Des patients y sont aussi référés par d’autres organisations depuis le camp de Maratatu, qui accueille actuellement 23 000 personnes.
Au centre d'accueil de Kigoma, 5 263 enfants ont été vaccinés contre la polio et la rougeole par les équipes de MSF et 2 160 femmes en âge de procréer ont été vaccinées contre le tétanos. MSF a ouvert une clinique 24h/24 et 7j/7 où 2 188 patients ont été traités depuis la mi-février, la plupart souffrant de diarrhée et de choléra, de paludisme et d'infections respiratoires. Des soins prénatals et une assistance aux victimes de violences sexuelles sont également dispensés dans la clinique.
La situation dans la province de l'Ituri reste imprévisible et un regain de violence pourrait provoquer un nouvel afflux de population en Ouganda. Actuellement, l'insécurité empêche de nombreux Congolais déplacés restés dans leur pays d'avoir accès à une assistance vitale. MSF s'efforce de les atteindre. En Ouganda, avec cette flambée mortelle de choléra et une réponse médicale et humanitaire encore trop limitée, une urgence aiguë se développe actuellement sur les rives du lac Albert.
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