RDC: lutter contre une épidémie dans un contexte de pandémie
© MSF/Carol Bottger
République démocratique du Congo (RDC)5 min
L'infirmière en pédiatrie Vera Schmitz revient de la République démocratique du Congo, où elle a participé à la vaccination de milliers d'enfants contre l’épidémie mortelle de rougeole qui fait rage dans le pays. Objectif difficile en temps normal, une vaccination à grande échelle devient encore plus compliquée dans ce contexte de Covid-19.
« Les maladies contagieuses n'ont rien de nouveau en République démocratique du Congo. Ebola. La rougeole. Le choléra. Dans un cycle sans fin, de nombreuses personnes tombent malades et perdent parfois la vie. Cette situation n'est inédite ni pour les populations, ni pour le personnel MSF, qui œuvre dans le pays depuis des décennies.
L'épidémie de rougeole
Cette situation n'est pas nouvelle pour moi non plus. Je suis arrivée en RDC début novembre, pour participer à la riposte à l’épidémie d'Ebola. Mais depuis fin janvier, nous faisons désormais face à l'épidémie de rougeole qui sévit et notre équipe a vacciné plus de 82 000 enfants au cours de trois campagnes de vaccination.
Vous pensez peut-être entendre sans cesse le même refrain : RDC, épidémie, vaccination.
Mais est-ce réellement le cas ici et aujourd’hui ? Pas tout à fait.
Bien sûr, chaque intervention est unique. De province en province, de village en village, les personnes varient, les circonstances aussi. Un contexte urbain ou rural fait également une grande différence. Cependant, la plus grande différence, ou du moins la plus notable aujourd'hui, est la pandémie de Covid-19.
« Le monde retient son souffle »
Pour l’instant, il n'y a pas (encore) de cas confirmé dans les deux provinces où nous travaillons. Mais la peur des gens est palpable et elle est partout.
Après notre arrivée dans la province du Sud Ubangi, dans le nord-ouest du pays, la première réaction de la population a été la peur du Covid-19. Beaucoup d'entre eux pensaient que c'était le motif le plus probable de notre présence : y-avait-il des cas positifs dans leur ville ?
Le Covid-19 crée beaucoup d'incertitudes. Et il est essentiel et important de les prendre au sérieux.
Face à l’épidémie, le monde retient son souffle et essaie de contrer le virus par tous les moyens possibles. C'est important et bénéfique, en particulier tant qu'il n'existe pas de traitement curatif ni de vaccin ( qui devrait être disponible dans le monde entier et accessible à tous ). Mais il ne faut pas pour autant oublier que les autres crises ne disparaissent pas simplement qu’une pandémie se déclare.
Éviter la catastrophe
La rougeole au Congo est une épidémie au cœur de la pandémie. L'ignorer serait fatal.
Retenir son souffle, prendre un temps de réflexion, identifier de nouvelles priorités - oui ! Mais arrêter de respirer éternellement serait un désastre.
C’est pourquoi à la question : est-ce vraiment le bon moment de mener une campagne de vaccination de masse contre la rougeole ? La réponse reste oui.
Car si nous négligeons la rougeole aujourd'hui, les patients risquent de présenter demain de dangereuses co-infections de rougeole et de Covid-19. Cette charge supplémentaire s’abattra sur le système de santé et les infrastructures du pays, déjà affaiblis.
Ici à Sud Ubangi, le Covid-19 reste pour l'heure une menace, alors que la rougeole, elle, est bien présente. Des enfants meurent et la vraie tragédie est que ces morts sont évitables. Il existe un vaccin.
Nous devons par conséquent faire tout notre possible pour mettre fin à l'épidémie actuelle, pour protéger le plus d'enfants possible aujourd'hui et demain contre cette maladie mortelle.
Prendre des précautions
Il est important de nous rappeler que nous avons également l'obligation de ne pas exposer les gens à un risque évitable. C'est pourquoi nous nous sommes adaptés à la situation. La notion de distanciation sociale au milieu d'une campagne de vaccination peut paraître paradoxale, mais elle n'est pas impossible à appliquer.
Les files d'attente sont séparées, très étroites et très longues, évitant ainsi tout regroupement. Les familles sont priées de se tenir à distance et, juste avant d'entrer, un grand poste de lavage des mains, qui est obligatoire, a été mis en place pour tous les parents et les enfants.
Les lieux où nous vaccinons ( généralement une église, une école ou un abri ) sont souvent particulièrement spacieux et offrent suffisamment de place pour instaurer un circuit à sens unique. Cela nous permet d'observer la distance nécessaire entre l'inscription, la vaccination et le recueil de données.
L'augmentation des effectifs nous permet de mieux maîtriser et de donner des consignes aux personnes présentes. En outre, le personnel en contact direct avec les enfants porte un équipement de protection approprié.
Mobilisation communautaire
Renforcer la communication et la sensibilisation au sein de la communauté est sans doute le plus important. Tout le monde connaît la rougeole, mais le Covid-19 est une nouvelle maladie et les questions, les doutes et le manque de connaissances sur le virus sont nombreux. De fausses rumeurs dans les médias ont conduit à une méfiance générale à l'égard des vaccins. Ainsi, de nombreuses actions de sensibilisation sont nécessaires.
Nous travaillons en étroite collaboration avec des personnes influentes dans les différentes communautés et diffusons des messages sur la vaccination dans des émissions de radio. Pendant la campagne de vaccination elle-même, une partie de l'équipe fait du porte à porte pour répondre aux questions et clarifier les doutes directement dans les foyers des gens.
La nouvelle normalité
J'espère sincèrement que la pandémie dans cette région restera circonscrite, au moins pendant un certain temps. Et j'espère que le monde recommencera à reprendre son souffle.
L'air aura une odeur différente et nous devrons nous habituer à cette nouvelle normalité, qui ne ressemblera pas à celle que nous connaissions. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de retenir notre souffle trop longtemps et d’oublier ainsi les autres crises. Nous devrons trouver de nouvelles façons de les gérer.
C'est aussi une opportunité. Une opportunité d'apprendre de nouvelles choses, de se souvenir de ce qui est important à nos yeux et de prendre soin les uns des autres. Parce qu'en ce moment, nous avons tous besoin de solidarité.
© MSF/Carol Bottger