Yémen : cinq raisons pour lesquelles la malnutrition infantile aigüe explose

Enfant main Août 2022, Yemen.

Yémen5 min

L'augmentation de la malnutrition infantile au Yémen provoque des décès qui pourraient être évités, particulièrement chez les enfants de moins de 5 ans. MSF répond aux pics saisonniers et annuels à travers le pays, notamment dans les gouvernorats de Hajjah, Hodeidah, Saada, et Amran.

Nos équipes s’attendent à ce que le pic de malnutrition dure jusqu’au mois de décembre. Les centres soutenus par MSF ont été submergés par ce pic précoce, couplé au nombre élevé d’enfants malnutris sévères nécessitant une hospitalisation. Dans certaines zones, nous sommes intervenus en urgence afin de répondre à l’explosion de cas de malnutrition aiguë ainsi qu’aux complications sanitaires telles que la diarrhée, la pneumonie et l'anémie.

Entre janvier et octobre 2022 nous comptions :

  • 7 597 enfants malnutris soignés dans nos centres
  • soit une augmentation de 36 % par rapport à la même période sur l’année 2021

1. Des denrées alimentaires rares

De nombreuses familles ne sont pas en mesure d’acheter assez de nourriture et d'aliments nutritifs puisque la crise économique a engendré une inflation sans précédent.  « Nous nous sommes rendus à l’Hôpital d’Abs plusieurs fois et l’état du petit s’améliorerait , raconte Shohra Mohamed, qui a accompagné à l’hôpital Abs, dans le gouvernorat d’Hajjah, son petit-fils de 4 ans, Abdullah, souffrant de malnutrition et d’autres complications. La dernière fois qu’il est sorti de l’hôpital, c’était il y a 20 jours. Nous préférons venir ici car les soins sont gratuits. Le père d’Abdullah est absent. Avec sa mère, on essaye de le nourrir avec ce que l’on a, on peut rarement se permettre de lui donner du lait. Nous n’avons pas accès à des centres de santé qui dispensent des aliments thérapeutiques. »


2. Un manque d’accès aux services de santé générale

Le système de santé yéménite continue de s’effondrer. Les ressources financières limitées des autorités sanitaires, les pénuries de matériel et d’équipement, l’absence ou l’irrégularité de paiement des équipes médicales ont entrainé la fermeture de nombreux centres de santé. Ajouté aux coûts élevés de l’essence, cela a considérablement restreint l’accès des personnes aux soins d’urgence. Cela a retardé la prise en charge de personnes nécessitant des soins médicaux, ce qui entraîne des complications qui auraient pu être évitées si traitées plus tôt. C’est la cas pour la malnutrition.

Nos équipes du gouvernorat d’Amran qui travaillent à l’hôpital Al-Salam-Khamer ont constaté une hausse du nombre de patients souffrant de malnutrition aigüe sévère depuis la fin du mois de mai.

En 2022 :

  • Entre janvier et septembre, 31 patients souffrant de malnutrition aigüe sévère sont décédés après avoir été admis
  • Le taux d’occupation des lits dans le centre d'alimentation thérapeutique hospitalier) a atteint 396 % en septembre
  • Le nombre de consultations d'urgence a augmenté de plus de 20 %

Dans le gouvernorat d’Hodeidah, entre janvier en octobre, notre équipe d’urgence de l’hôpital rural d’Ad-Dahi a reçu 1 902 enfants souffrant de malnutrition avec des complications.


3. Pauvreté conditions de vie difficiles

De mauvaises conditions de vie, particulièrement pour les personnes déplacées, contribuent également à la hausse de la malnutrition. L’hôpital d’Abs dans le gouvernorat d‘Hajjah a reçu des patients des environs d‘Abs, où de nombreuses personnes déplacées vivent sans un abri approprié et avec un accès alimentaire et pécunier limités.

De janvier à septembre 2022 :

  • Le centre d'alimentation thérapeutique hospitalier soutenu par MSF dans l’hôpital général d‘Abs a admis 2 087 enfants pour malnutrition et complications médicales associées
  •  La majorité des patients avaient entre 6 et 23 mois

4. Manque sensibilisation au sein de la communauté

Il est absolument nécessaire d'améliorer l'accès à la sensibilisation pour les soins prénatals et postnatals, qui sont directement liés à la malnutrition. La faible disponibilité de ces soins génère des grossesses compliquées, ce qui se traduit par des accouchements difficiles. Par exemple, à l'hôpital d’Abs, plus de 50 % des mères admises à la maternité souffraient de malnutrition. L’année dernière seules 10 % des femmes ayant accouché à l'hôpital avaient eu au moins une consultation prénatale, qui est l'occasion d'identifier et de traiter la malnutrition chez les femmes enceintes en les orientant vers les services appropriés. Cela améliore l'issue de la grossesse et réduit les risques de malnutrition chez les nouveau-nés et les nourrissons.

Par ailleurs, la communauté est peu sensibilisée à l'importance de l'allaitement maternel et des vaccinations de routine pour les enfants.


5. Des lacunes dans la réponse humanitaire

Cette année, les coupes budgétaires ont entraîné l’interruption des services de soins de santé générale ainsi qu’un nombre insuffisant de médicaments à disposition.

« J'ai quatre enfants qui souffraient tous de malnutrition, a déclaré Ahmed Abu Al Ghaith, un père qui a amené sa fille d'un an souffrant de malnutrition aigüe sévère à l'hôpital d’Ad-Dahi. J‘ai emmené mes enfants au centre de traitement de la malnutrition le plus proche dans la région. Mais, car il n'y en avait pas assez d’aliments thérapeutiques à disposition, les soignants ont dû choisir parmi mes enfants et établir des priorités pour leur donner des aliments thérapeutiques. » Outre les programmes de santé, les lacunes dans les programmes de nutrition et d'assistance alimentaire, ainsi que la qualité insuffisante des services d'eau, d'assainissement et d'hygiène ont augmenté les risques de malnutrition et de complications associées, car ces éléments favorisent les maladies transmises par l'eau.


Agir face à cette urgence humanitaire

MSF travaille dans 13 des 21 gouvernorats du Yémen.

Les autorités sanitaires et les acteurs de l'aide humanitaire doivent apporter une réponse globale visant à renforcer la portée et l'efficacité de la surveillance à l'échelle nationale. Il est nécessaire de combler les lacunes des structures de santé générale afin de garantir un accès rapide aux soins et de contribuer à sensibiliser les communautés à la détection des signes avant-coureurs de malnutrition. La réponse doit également inclure l'intensification des campagnes de vaccination dans tout le pays, en particulier chez les enfants de moins de cinq ans qui restent les plus vulnérables.