«La catastrophe du choléra au Yémen ne fut qu'une mise en garde face à une crise négligée»
© Gonzalo Martínez / MSF
Yémen5 min
Ruth Conde a travaillé entre février et juin en tant qu'infirmière en chef de MSF à l’hôpital d’Abs, l’épicentre de l’épidémie de choléra au Yémen. Elle nous parle des efforts de son équipe pour éviter la catastrophe imminente.
« Je me souviens des expressions perplexes sur les visages des membres de l'équipe lorsque nous avons obtenu le premier test positif du choléra à l'hôpital d’Abs. Nous étions déjà surchargés de travail. Des épidémies de rougeole et de coqueluche ainsi qu'un pic du paludisme s'étaient déclarés, et nous recevions aussi un grand nombre de blessés de guerre... L'arrivée du choléra était la dernière chose dont nous avions besoin.
Si l’on s’intéresse aux facteurs qui vulnérabilisent une population au choléra, on constate que le Yémen, en général, et Abs, en particulier, les réunissent tous. D'une part, le système de santé est effondré après plus de deux années de guerre ; le personnel est très limité et impayé depuis plusieurs mois, et manque de ressources matérielles pour accomplir son travail. D'autre part, à ces facteurs propices s'ajoute une population déplacée, appauvrie, avec un accès limité à l'eau potable, souffrant d'un manque de nourriture et déjà fortement affectée par le fléau d'autres morbidités.
Au début, le choléra est apparu à Abs de façon intermittente. Nous avions un nombre restreint de patients et tous étaient issus de la même région. La mise en garde fut claire pour les membres de MSF et nous avons immédiatement pris les mesures nécessaires. Nous avons réalisé des missions exploratoires, établis des réseaux dans la région, fait des dons d'équipements et formé le personnel de centres et de postes de santé dans la région afin de veiller à ce que les cas modérés puissent être traités dans les zones en périphérie.
Plus de 400 cas présumés par jour
En mai, cependant, la situation est devenue explosive. Nous avons commencé à recevoir entre 20 et 30 patients par jour, qui venaient chaque fois de régions plus éloignées. C'est à ce moment-là que l'alarme a sonné et que nous avons réalisé que la situation nous échappait.
Nous avons redoublé d'efforts et également installé un centre de traitement du choléra (CTC) isolé de l'hôpital. Établi dans une école voisine, il dispose actuellement d'une capacité de 100 lits et emploie une centaine de travailleurs supplémentaires. Abs n'a pas seulement été l'épicentre d'une épidémie de choléra qui a déjà causé 1.600 décès et a touché plus de 269.000 personnes, il s'agit également de la région où l’épidémie a connu une croissance la plus exponentielle. Ce n’est pas un hasard si nous avons reçu durant ces dernières semaines de juin et juillet une moyenne de plus de 400 cas présumés par jour.
Une image du moment où l'épidémie a commencé à monter en flèche me revient à l’esprit. Je préparais des fluides de réhydratation orale lorsqu’un flot de patients s’est présenté à l’hôpital. Parmi eux se trouvait une jeune fille, d'environ 16 ans, en état de choc. À son arrivée, elle s’est effondrée et a cessé de respirer. Nous avons dû la mettre sous soutien ventilatoire, mais dès que nous avons commencé à lui injecter des fluides, elle a recommencé à respirer d’elle-même. Le lendemain matin, elle était déjà en mesure de s’occuper d’elle-même. Son rétablissement fut impressionnant.
Un taux de mortalité qui peut aller jusqu'à 50 %
Heureusement, c’était là une tendance générale. En travaillant sans relâche, nos équipes ont réussi à maintenir les taux de mortalité entre 1 et 2 %. Le choléra, s'il n'est pas traité correctement et à temps, peut avoir un taux de mortalité allant jusqu'à 50 %. Il s'agit d'une maladie qui ne fait pas de distinction entre les classes sociales, le genre et l’âge. Si la prise en charge est efficace et rapide, les résultats sont incroyables. Pour les patients au diagnostic plus critique, la durée maximale de l’hospitalisation est d'environ quatre jours. L'évolution est fulgurante. S'il est admis à un moment où il est capable de se réhydrater seul, un patient peut être autorisé à sortir de l'hôpital en quelques heures.
Dans le cas de la jeune fille, je me demande ce qu'il serait arrivé si nous n'avions pas été là pour l'aider, ou si elle était arrivée cinq minutes plus tard à notre centre de traitement. Je pense également à la peur dans les yeux des personnes qui ne comprennent pas bien ce qu'il se passe, et aux demandes d'aide des dirigeants communautaires et de toutes sortes d'autorités, incapables de gérer une crise qui s’accélère.
Je suis convaincue que la situation aurait été catastrophique si MSF n’avait pas été présente à Abs, si nous n'étions pas retournés dans cette région du Yémen si démunie quelques mois après un bombardement contre l'hôpital. La ville d’Abs et le Yémen ont besoin de beaucoup plus d'efforts et d'une meilleure coordination au sein de la communauté humanitaire. Le temps joue contre des dizaines de milliers de personnes. En effet, le choléra ne fut qu'une mise en garde dans une crise oubliée et qui persistera longtemps après que le dernier cas de choléra aura été traité ».
Médecins Sans Frontières a commencé à soutenir l'hôpital rural d’Abs en juillet 2015. Le 15 août 2016, l’hôpital a été détruit par une attaque aérienne qui a fait 19 morts, dont un travailleur de l'organisation, et 24 blessés. Peu de temps après, MSF a suspendu ses activités dans plusieurs installations au nord du Yémen. En novembre 2016, l'organisation y a repris ses activités de soutien. Environ 200 travailleurs locaux et une douzaine de professionnels internationaux travaillent actuellement à l'hôpital d’Abs. MSF y dirige les services d'urgence, les unités de pédiatrie, de maternité et de nutrition, ainsi qu'un service de cliniques mobiles et de soutien psychosocial.
© Gonzalo Martínez / MSF