Des Soudanaises prêtes à tout pour sauver leur famille

Parmi les personnes ayant traversé la frontière vers le Tchad, la majorité sont des femmes et des enfants, un grand nombre d’hommes ayant été tués, emprisonnés ou portés disparus au Soudan.

Tchad9 min

Depuis le début de la guerre au Soudan en avril 2023, plus de 550 000 Soudanais·e·s ont fui les violences et les attaques ethniques, en quête de sécurité dans l'est du Tchad.

Ces femmes, qui étaient déjà le pilier de leur foyer, portent désormais la responsabilité entière de subvenir aux besoins de leur famille, affrontant un avenir incertain avec courage et résilience. Ces témoignages illustrent la force et la détermination dont elles font preuve pour protéger leurs familles tout en fuyant les violences ethniques au Darfour.

« Dans le camp, nous ne sommes pas tué·e·s, mais nous n'avons rien à manger », Ghalia

« L’escalade de la violence dans mon quartier était horrible. Impossible de compter combien de personnes ont été tuées dans les rues. Le jour où ma maison a été attaquée, j'ai pris la fuite avec mon plus jeune enfant sur le dos. C’était le chaos dehors, il y avait tellement de monde que j'ai perdu mes autres enfants et mon mari. Des hommes armés nous ont dit de prendre la route vers l'ouest, vers le Tchad. 

Dans le village suivant, j'ai retrouvé mes enfants. Ils avaient réussi à rester ensemble et à se soutenir mutuellement. Ils avaient soif, faim, étaient fatigués et avaient peur, mais j'étais tellement soulagée. Je pensais qu'ils avaient été tués et que je ne les reverrais jamais.

A Adré, nous avons trouvé refuge dans une école. Six jours plus tard, j'ai retrouvé mon mari à l'hôpital soutenu par les équipes MSF. Il avait reçu une balle dans le bras. Aujourd’hui, il lutte toujours contre la douleur et il ne peut plus soulever des objets lourds comme les jerrycans pour récupérer de l’eau. Je dois donc m'occuper de lui. 

Nous sommes arrivé·e·s dans le nouveau camp à la mi-juillet de l'année dernière. Ici, il n'y a pas de bombes ni de coups de feu. Nous ne nous faisons pas tuer, mais nous n'avons rien à manger. Certains jours, nous ne mangeons pas du tout. Nous dépendons entièrement de l'aide humanitaire, en particulier pour la nourriture. L’eau est également un grand problème. La file d'attente est très longue et je dois me lever tôt pour y placer mon jerrycan. Au Soudan, nous étions des agriculteur·rice·s. Mais ici, à Aboutengue, il n'y a rien. Nous sommes au milieu de nulle part. »

Ghalia a fui la guerre brutale au Soudan avec son mari, leurs cinq enfants âgés de 4 à 13 ans et deux de ses frères. Ils et elles sont arrivé·e·s dans le camp de réfugié·e·s d'Aboutengue en juillet 2023. Enceinte au moment de sa fuite, Ghalia a donné naissance à sa plus jeune fille, Makarima, à l'hôpital soutenu par MSF il y a quatre mois.

Ghalia a fui la guerre brutale au Soudan avec son mari, leurs cinq enfants âgés de 4 à 13 ans et deux de ses frères. Ils et elles sont arrivé·e·s dans le camp de réfugié·e·s d'Aboutengue en juillet 2023. Enceinte au moment de sa fuite, Ghalia a donné naissance à sa plus jeune fille, Makarima, à l'hôpital soutenu par MSF il y a quatre mois.

© Laora Vigourt/MSF

« Nous avons tous·tes pensé que nous allions mourir en chemin », Nafissa

« La guerre s'est certes intensifiée l'année dernière, mais il y avait déjà des violences dans notre région auparavant. Mon mari a été tué en 2022, et l'un de mes fils en mai 2023. Il n'avait que 10 ans. Il a été abattu dans la rue et a succombé à ses blessures à l'hôpital trois jours plus tard. Quand j'ai entendu parler de nouvelles attaques dans notre quartier, j'ai quitté ma maison avec mes deux enfants et je n'y suis jamais retournée.

Nous sommes partis à pied. A un moment donné, nous avons entendu des coups de feu : des hommes armés ont commencé à tirer sur la foule, les gens couraient dans tous les sens. C'est à ce moment-là que j'ai perdu ma fille », raconte Nafissa, peinée.

« Le lendemain, je marchais sur la route avec mon fils lorsque des hommes armés nous ont arrêté·e·s. Ils ont essayé de le blesser avec un couteau, mais j'ai enroulé un tissu autour de ma main et j'ai réussi à dévier la lame pour le protéger. Puis ils m’ont donné un coup de couteau, qui m’a ouvert la jambe. Ils ont alors aperçu un homme au loin et sont allés le tuer. C’est là que j'ai réussi à m'enfuir avec mon fils. Ils tuent d'abord les hommes, avant les femmes. D’une certaine manière, cet homme m'a sauvé la vie au prix de la sienne.

Dans tous les groupes de personnes en fuite, certain·e·s se font tirer dessus et d'autres parviennent à atteindre Adré. Mais à un moment ou à un autre, nous avons tous·tes pensé que nous allions mourir en chemin, explique Nafissa. A la frontière, j'ai retrouvé ma fille, elle était épuisée et effrayée, mais j'étais tellement soulagée qu'elle soit en vie. »

Nafissa a fui les attaques brutales d'El Geneina en juin 2023. Elle a trouvé refuge dans l'est du Tchad et vit actuellement avec deux de ses enfants dans le camp de réfugié·e·s d'Aboutengue. Son mari a été tué en 2022 lors d'un précédent épisode de violence.

Nafissa a fui les attaques brutales d'El Geneina en juin 2023. Elle a trouvé refuge dans l'est du Tchad et vit actuellement avec deux de ses enfants dans le camp de réfugié·e·s d'Aboutengue. Son mari a été tué en 2022 lors d'un précédent épisode de violence.

© Laora Vigourt/MSF

« Il n'y a rien que nous puissions faire ici : pas de travail, pas de terres et aucun moyen de s’en sortir », Taiba

« Nous avons été arrêté·e·s deux fois en chemin. La première, mon mari a reçu une balle dans le pied droit et pouvait à peine marcher. La deuxième, des hommes armés nous ont à nouveau attaqué·e·s. Ils m'ont donné des coups de pied et ont frappé mon mari avec un bâton. Après cela, il ne pouvait presque plus bouger. J'ai essayé de le porter autant que possible avec mon jeune bébé, Ayoub, dans les bras. Une femme a gentiment proposé de s'occuper de ma fille Aya pendant que je m'efforçais de porter mon mari et mon fils.

Arrivé·e·s à l'hôpital d’Adré, nous avons été pris·es en charge par les équipes médicales, soutenues par MSF, et avons été et soigné·e·s. C'est là que nous avons appris que le bras et la jambe gauches de mon mari resteraient paralysés à vie, à cause des coups reçus. À El Geneina, avant la guerre, notre vie était belle. J'étais sage-femme à l'hôpital et mon mari vendait des voitures. Une fois que ce sera sûr, nous rentrerons au Soudan, car la vie ici est si difficile. Nous souffrons et manquons d’accès à l'essentiel : nourriture, eau, école, travail. La seule nourriture que nous recevons provient des organisations humanitaires. Il n'y a rien que nous puissions faire ici : pas de travail, ni de terres et aucun moyen de s’en sortir. Mon mari ne peut pas se déplacer à cause de sa paralysie, alors je dois m’occuper seule de notre famille, qu’il s’agisse de transporter l'eau ou trouver de la nourriture. »

Taiba est arrivée au camp d'Aboutengue en juillet 2023, après avoir fui la guerre au Soudan avec son mari Bashir et leurs deux enfants : Aya (6 ans) et Ayoub (2 ans). Leur plus jeune enfant, Ayat, est né il y a quatre mois dans l'hôpital MSF du camp d’Aboutengue.

Taiba est arrivée au camp d'Aboutengue en juillet 2023, après avoir fui la guerre au Soudan avec son mari Bashir et leurs deux enfants : Aya (6 ans) et Ayoub (2 ans). Leur plus jeune enfant, Ayat, est né il y a quatre mois dans l'hôpital MSF du camp d’Aboutengue.

© Laora Vigourt/MSF

« Plus tard, j'aimerais travailler pour une organisation humanitaire afin de pouvoir apporter mon aide, mais je ne sais pas vraiment ce que l'avenir me réserve », Gisma

 « Nous avons fui El Geneina en juin de l'année dernière. C'était très difficile. Mon père a été tué. Quand les attaques ont eu lieu, nous avons quitté notre maison avec ma famille, mais nous nous sommes perdus en chemin. J'étais avec trois de mes sœurs, portant la plus jeune sur mon dos. Dans la rue, nous avons croisé des hommes armés qui ont pris deux de mes sœurs. Ils les ont blessées. Je n'avais pas d'autre choix que de fuir, confie Gisma, peinée.

Nous sommes arrivées pieds nus à Adré, car nous ne pouvions rien emporter. Des gens nous ont aidés et nous ont donné de l'eau. Une gentille dame nous a partagé sa nourriture. Je me suis sentie soulagée d'atteindre la frontière, surtout quand j'ai retrouvé mes sœurs et ma mère. 

Gisma a eu 18 ans il y a trois mois. Elle vit dans le camp de réfugié·e·s d'Aboutengue avec sa mère et ses cinq sœurs.

Gisma a eu 18 ans il y a trois mois. Elle vit dans le camp de réfugié·e·s d'Aboutengue avec sa mère et ses cinq sœurs.

© Laora Vigourt/MSF

J'aime étudier et je suis contente d'avoir l'école ici. Nous étudions sous l'arbre dans le Ouaddi (lit de rivière asséché), mais je n'y vais plus, car je dois m'occuper de mes sœurs. Ma mère essaie de retourner au Soudan pour récupérer le nécessaire à notre survie. Nous n'avons rien ici, c'est très dur de vivre, explique Gisma. Plus tard, j'aimerais travailler pour une organisation humanitaire afin de pouvoir apporter mon aide, mais je ne sais pas vraiment ce que l'avenir me réserve. »

Vue de l'Ouaddi (lit de rivière asséché) dans le camp d'Aboutengue, dans l'est du Tchad, où les réfugié·e·s ont installé des écoles sous les arbres pour apprendre diverses matières, telles que les mathématiques, l'histoire, l'anglais et l'arabe.

Vue de l'Ouaddi (lit de rivière asséché) dans le camp d'Aboutengue, dans l'est du Tchad, où les réfugié·e·s ont installé des écoles sous les arbres pour apprendre diverses matières, telles que les mathématiques, l'histoire, l'anglais et l'arabe.

© Laora Vigourt/MSF

Dans les camps de Metche et Aboutengue, les équipes de MSF fournissent des soins maternels et pédiatriques, prennent en charge les enfants souffrant de malnutrition et dispensent des soins de santé générale. Les équipes chargées de l'eau et de l'assainissement distribuent également la majeure partie de l'eau dans les camps. Malgré ces efforts, la réponse humanitaire reste insuffisante et MSF continue d'appeler à une intensification immédiate des activités des acteurs humanitaires pour répondre aux besoins immenses des populations.